Gazette d'Admiroutes N° 180 du 31 mars 2008

Publié le par Jean-Paul Baquiast

Lire aussi sur Admiroutes - Automates Intelligents -
* Amérique dirigiste, Europe libérale http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2008/87/edito1.htm
* Ne pas manquer: Dernières phases d'approche de la Station Spatiale par l'ATV Jules Verne européen http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2008/87/ATV.htm ainsi que http://www.esa.int/SPECIALS/ATV/SEMIUAR03EF_0.html
* Et si le monde quantique était déterministe? http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2008/87/ondepilote.htm

 


La leçon du Pakistan aux Américains

Au Pakistan, la première conséquence de l’arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Yousaf Raza Gilani, après l’installation de la nouvelle majorité issue de l’élection, est une sévère mise en garde à l’encontre de Washington. Le nouveau pouvoir réclame des Américains une nouvelle façon d’affronter les extrémistes islamiques, qui consisterait à discuter plutôt que tirer. («...prioritise talking as well as shooting in the battle against Islamist extremism»).

Plus clairement, il demande aux Américains d’abandonner leurs pratiques unilatérales à l’égard du Pakistan, ayant pour effet l’instrumentalisant de celui-ci dans la lutte contre l’extrémisme islamiste. Le Pakistan n’est plus le champ de tir aux islamistes (“killing field « ) que les Américains voulaient qu’il soit, vient d’affirmer le dignitaire pakistanais Nawaz Sharif à l’ambassadeur américain John Negroponte. Le thème sous-jacent est que le temps n’est plus où le président Pervez Musharaf décidait de tout, étant lui-même aux ordres des Etats-Unis. Il existe maintenant un gouvernement et une assemblée qui veulent être considérés comme maîtres du destin du pays.

Faut-il voir derrière ces affirmations, fort compréhensibles au demeurant, une résurgence cachée de l’Islam radical ou simplement la réaction d’un peuple lassé d’être méprisé par les Etats-Unis et ne supportant plus les destructions causées par leurs interventions militaires dans les zones tribales ? Comme les islamistes radicaux ne semblent pas avoir été très écoutés aux dernières élections, nous pencherions pour la seconde solution.

Mais plus globalement, la position de Yousaf Raza Gilani et de ses amis nous confortent dans l’opinion que nous avions précédemment exprimée, à l’occasion de l’attentat contre Benazir Bhutto (http://www.pan-europe.org/article.php?article_id=359&rubrique_id= ). Le meilleur service que l’Occident pourrait rendre au Pakistan serait de le laisser se débrouiller seul dans sa zone géographique, y compris avec les islamiques. Toutes les interventions militaires occidentales, non seulement fragilisent les pouvoirs « démocratiques » modérés, mais multiplient les recrutements de talibans.

La leçon aurait du être apprise depuis longtemps en Irak. Elle est en train de l’être, cruellement, en Afghanistan. C’est le moment que choisit Nicolas Sarkozy pour impliquer la France dans un combat d’arrière-garde dont les retombées désastreuses ne vont pas tarder à se faire sentir. 29/03/08

* Article du Guardian http://www.guardian.co.uk/world/2008/mar/27/pakistan.usa


Réseaux autoroutiers et ferrés chinois

La revue Tracés (Bulletin technique de la Suisse Romande ( http://retro.seals.ch/digbib/vollist?UID=bts-004 ) dont nous recommandons la lecture, consacre son numéro 05 du 19 mars 2008 à la question des transports en Chine. On y montre l’effort d’investissement véritablement colossal entrepris par ce pays pour se doter de voies de communication modernes. Sur le plan routier, c’est le secteur des autoroutes transcontinentales qui a bénéficié des plus grands efforts La plus longue autoroute du monde, traversant le désert du Taklamakan (ie « d’où l’on ne ressort jamais ») dans le Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine, vient d’être inaugurée. Longue de mille kilomètres, elle dessert des régions aux ressources énergétiques et minérales, mais aussi agricoles et touristiques, considérables. Sans la route, ces ressources seraient difficilement valorisables. Les ingénieurs ont du résoudre de nombreux problèmes naturels et techniques pour être prêts à temps. L’un des plus délicats est l’ensablement, contre lequel lutteront des barrières végétales de très grande étendue. L’autoroute n’offre pas pour le moment les prestations que l’on trouve en Occident. La circulation y est particulièrement dangereuse. Mais la situation devrait s’améliorer progressivement.

Il ne s’agit là qu’une portion d’un réseau baptisé 7518 de 85.000 km d’autoroutes prévu pour 2015-2020, soit 10.000 km de plus que le réseau des Etats-Unis dont les Chinois s’inspirent largement. Le coût total, difficile à estimer et surtout à comparer aux dépenses équivalentes dans les pays développés, devrait être de 1 à 2 trillions de dollars. Les retombées en termes de croissance devraient être bien supérieures. Il s’agit donc d’investissements rentables. Mais ils seront financés, comme ceux du capitalisme occidental aux origines, en grande partie par la « sueur du peuple ».

La Chine ne méconnaît pas les limites du transport routier, gros consommateur d’énergies fossiles. Aussi développe-t-elle d’autres grands programmes de transports, par voie fluviale, maritime et aérienne. Le plus intéressant à terme concerne le réseau ferroviaire. Le 11e plan de 2006 à 2010 a placé le rail en priorité. 200 milliards de dollars seront investis, pour construire 20.000 km de lignes dont 12.000 pour les transports de voyageurs. Les travaux de la ligne à grande vitesse Beijing Shanghai (1386 km) ont commencé. L’actualité a par ailleurs remis en première ligne les travaux précédemment consacrés à la ligne Chine-Tibet, la plus haute du monde, qui favorise l’immigration chinoise dans cette partie contestée de l’Empire.

Quand on considère tous les bénéfices attendus de ces investissements, pour assurer notamment une plus grande homogénéité des développements économiques, ainsi qu’une réduction globale des coûts de transport, on ne peut que regretter l’absence d’une politique déterminée de grandes liaisons intercontinentales en Europe. Celles-ci, notamment ferroviaires, outre le rapprochement entre l’Europe de l’ouest et celle de l’est, pourraient permettre des connexions vers l’espace russe et pourquoi pas un jour, l’espace chinois, au bénéfice des trois grands ensembles géostratégiques euro-asiatiques. 28/03/08

* http://en.wikipedia.org/wiki/Expressways_of_China


Une visite d'Etat plus que négative

L’opinion française ne retient, apparemment, du voyage du couple présidentiel à Londres que le plus superficiel. Sarkozy (affublé au dîner d’apparat d’un habit orné, nous a-t-il semblé, d’une sorte de cravate de dentelle) n’aurait pas fait de bévues et Carla Sarkozy, en robe d’hôtesse Aeroflot de 1960 (selon le mot d’un humoriste) aurait éclipsé la princesse Diana.

Mais l’opinion ne voit pas qu’une nouvelle fois, Nicolas Sarkozy a échangé des principes fondamentaux de la diplomatie française pour un plat de lentilles. Pour se faire bien voir des Anglais, il a confirmé son ralliement à la politique anglo-américaine en Afghanistan au moment ou celle-ci est en perdition. Ainsi engage-t-il notre pays dans un enchaînement de conséquences concernant aussi bien les armées que la diplomatie françaises dont on peut prévoir le pire. Malgré ses affirmations, il a par ailleurs porté un nouveau coup à l’alliance franco-allemande dont nos sources nous disent qu’elle est au plus bas actuellement, vue de l’autre côté du Rhin, ceci par la faute presque exclusive de la France.

En échange de ces abandons, aucun des éventuels accords évoqués avant le sommet en matière d'armement ou de nucléaire civil ne s'est concrétisé. On ne voit même pas, sur les thèmes présentés comme ayant fait l’objet d’"analyses extrêmement voisines", concernant la réforme des institutions internationales, la transparence des marchés financiers ou l'immigration, comment des positions communes pourront être proposées aux autres Etats européens lors de la présidence française de l’Union.

Bref, derrière la poudre aux yeux, c’est la poursuite, via Londres, de l’inféodation française à l’américanisme qui se poursuit, au moment où, aux Etats-Unis même, des changements importants (mais qui ne seront pas nécessairement favorables à l’Europe), sont en train de se préparer. 28/03/08

*Sur la guerre américaine en Irak, proche de celle où Sarkozy veut nous entraîner en Afghansitan, voir un article éclairant de Agoravox
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=37979


Le Svalbard Global Seed Vault

Lors de la présentation du film Le monde selon Monsanto par la 5, José Bové avait affirmé que le sanctuaire à graines dit Svalbard Global Seed Vault au Spitsberg était une entreprise privée qui privatiserait et monnaierait l'accès aux semences. C'est une accusation grave, mais je n'en vois pas de preuves. Il y a bien un Global Seed Diversity Trust dans le programme, mais celui-ci semble être une ONG relevant de l'ONU. Est-ce qu'une nouvelle fois Bové n'aurait-il pas démontré son irresponsabilité d'agitateur déloyal? 28/03/08
http://en.wikipedia.org/wiki/Svalbard_Global_Seed_Vault


Un axe russo-japonais dans le nucléaire. Nouvelle concurrence pour Areva

Il était évident que le Japon, grande puissance mondiale, confrontée à la puissance chinoise, ne pouvait pas rester insensible aux possibilités d'accord stratégique avec la Russie. La Russie, également confrontée à la Chine, se heurtant à l'intransigeance américaine et malheureusement, à l'intransigeance européenne (suscitée ne grande partie par les Etats-Unis) ne pouvait rester indifférente aux perspectives japonaises. Les domaines de coopération nippo-japonaise sont nombreux. Il s’agit d’abord de l’énergie, et notamment du nucléaire, comme nous allons le voir. Mais il s’agira aussi de l’espace, de l’armement, sans doute également de la robotique et des biotechnologies. Cette liste, qui peut s’étendre, devrait suffire à inquiéter les intérêts européens. S’ils sont exclus de tels rapprochements, ou s’ils n’en tiennent pas compte, le réveil sera douloureux. Dans l’immédiat, on peut constater que le Japon ne semble pas inquiet des réactions de Washington face à de tels accords. Considère-t-on à Tokyo que la perte d’influence de l’économie américaine lui retire de la légitimité à prétendre faire la loi dans l’archipel ? S’agit-il seulement du fait que des alliances actuelles ou futures entre firmes japonaises et américaines permettent au Japon de jouer les rapprochements avec Moscou sans encourir les foudres du Département d’Etat ?

Concernant l’industrie nucléaire, la firme d’Etat russe Atomenergoprom regroupant depuis 2007 tous les maillons de la filière nucléaire russe (recherche, mines, réacteurs, combustibles , recyclage et production d’électricité) vient d’annoncer le 20 mars 2008 la signature avec le japonais Toshiba d’un accord cadre dans la construction de centrales nucléaires civiles. Toshiba, comme l’on sait, avait racheté en 2006 l’américain Westinghouse. Il dispose d’un produit performant dit de 3e génération, le réacteur AP 1000, concurrent direct de l’EPR d’Areva. S’il ne s’agit encore que d’un partenariat stratégique, aux lignes restées vagues, l’objectif est évidemment de répondre en commun à la demande de telles centrales dans le monde, estimée entre 150 et 400 réacteurs d’ici 2020. L’apport de solutions en matière de fourniture de minerai et de retraitement fera évidemment partie de la compétitivité des offreurs. Areva sera légitimée à investir, si elle veut conserver sa part de marché. Elle vient de s’associer avec le japonais Mitsubishi Heavy Industries pour concevoir un réacteur de 1000 mégawatts baptisé Atméa 1 (notre image).
(http://www.areva-np.com/scripts/press/publigen/content/templates/show.asp?P=880&L=FR).

Si l’accord russo-japonais se confirme, il ne restera que 3 groupes en compétition dans le monde, Areva, GE-Hitachi et Toshiba Energoprom. Ceci veut dire que toutes manœuvres irresponsables en termes de statut de l'entreprise, venant du milieu politique français, notamment de l’Elysée, qui pourraient conduire à affaiblir le crédit d’Areva dans le monde ne seraient pas du tout opportunes. 24/03/2008


Défense de l’Europe contre Europe de la défense.

Résumé: Différentes échéances obligent à poser de nouveau la question de la possibilité d’une défense européenne (défense de l’Europe) qui soit réellement indépendante des stratégies politiques et militaires des Etats-Unis. Cette question entraîne immédiatement son corollaire : que pourrait faire la France, en théorie, pour aider à construire cette défense? Que va-t-elle faire en fait, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à l’occasion notamment de la présidence française de l’Union au second semestre 2008 ?

Dans notre livre « L’Europe et le vide de puissance » (à paraître) nous évoquons plusieurs fois la thèse selon laquelle l’Europe ne se construira jamais sous la forme d’uns puissance géopolitique globale si elle ne s’affranchit pas définitivement de la tutelle militaire et économique des Etats-Unis. La tâche sera d’autant plus ardue que c’est cette tutelle qui a contribué à faire naître l’Europe sous la forme qui est la sienne actuellement, celle d’un ensemble peu structuré d’Etats dépendants des politiques américaines, même lorsque celles-ci mènent tout droit à des catastrophes, que ce soit au plan diplomatique (guerres au Moyen-orient) ou économique (crise mondiale possible amorcée par une crise américaine).

Nous avons examiné dans d’autres articles la question économique, à laquelle il faudra de nouveau s 'intéresser prochainement. Revenons ici sur la question de la défense européenne. Que signifierait une défense européenne véritablement européenne ? Le concept est-il envisageable ? Quelle contribution la France pourrait-elle apporter à une telle défense ? En prend-elle le chemin ?

1. Le concept de défense de l’Europe

Les experts sont conduits à distinguer deux concepts qui sont loin de se recouper, celui d’Europe de la défense et celui de défense de l’Europe. Sous l’apparence d’un aimable jeu de mots, il s’agit de choses profondément différentes – pour le moment encore.

1.1. Le piège actuel de l’Europe de la défense

L’Europe de la défense est celle qui a été définie par les différents traités et accords européens ainsi que par les conventions avec l’Otan, et donc les Etats-Unis. Elle est baptisée du nom de PESD, politique européenne de sécurité et de défense.

1.1.1. La PESD

Celle-ci comprend pour l’essentiel :

* Les missions dites de Petersberg élargies. Les missions de Petersberg sont « les missions de gestion de crise que l’Union européenne doit être en mesure de mener dans le cadre de sa Politique Européenne de Sécurité et de Défense. Il s’agit des missions humanitaires ou d’évacuation des ressortissants ; des missions de maintien de la paix ; des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix. Les missions de Petersberg ont été définies dans la Déclaration de Petersberg, adoptée par le Conseil des ministres de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) le 19 juin 1992, dans le cadre d’une redéfinition du rôle de l’organisation. Créée en 1954, l’UEO regroupe dix Etats, tous membre de l’UE. Depuis, elle a été absorbée par l'Union européenne. (http://www.operationspaix.net/-Missions-de-Petersberg-) En gros, il ne s’agit pas véritablement de défense de l’Europe mais d’interventions, principalement en dehors d’Europe, pour assurer le « maintien de la paix » et plus généralement gérer des crises avec des moyens militaires. Ces « interventions » devraient en bonne logique être d’initiative européenne. Juridiquement, elles ne dépendent que de la volonté des Etats-membres. La décision d'engagement doit être prise à l'unanimité au sein du Conseil européen. Mais certains Etats membres ont tendance à se tourner vers l'OTAN , en contradiction avec la volonté affichée et inscrite dans les textes de mener une politique étrangère et de sécurité commune, propre à l'Union. Il en résulte que jusqu'à présent, faute d'accord sur une diplomatie commune, dont la PESC (politique étrangère de sécurité commune) ne pouvait tenir lieu, elles ont répondu pour l’essentiel à des pressions faites sur l’Europe ou sur certains de ses Etats par l’Otan et derrière cette dernière par les Etats-Unis. Elles n’ont que rarement sinon jamais été discutées au sein des parlements des Etats membres ou du parlement européen.

* Des forces communes fournies par un certain nombre d’Etats, sous forme notamment d’un corps dit de réaction rapide avec son environnement maritime et aérien, qui rassemble de façon peu cohérente un éventail d’unités et de capacités peu capables d’agir de façon coordonnée sur les théâtres éventuels d’intervention. Ces forces sont exclusivement européennes. A l'exception de l'opération Althéa en Bosnie Herzégovine, toutes les autres opérations menées ces dernières années sous la responsabilité de l'Union européenne ont été indépendantes des moyens propres de l'Otan. Cependant, cette force dépend en partie pour son déploiement des moyens logistiques que voudront bien fournir les Etats-Unis, les ressources des Etats responsables de la force étant très limitées. Il s’agit de moins de 100.000 hommes au total.

La mise sur pied de la force d'intervention rapide Européenne de 60 000 hommes décidée au sommet d'Helsinki, que l'on dénomme "objectif 2003", reste effectivement relativement théorique.La raison réside certes dans la tiédeur des pays de l'Union, mais aussi dans son inadaptation à la résolution des crises internationales telles qu'elles se sont présentées ces dernières années. Les 15 Groupements tactiques de 1500 hommes chacun ( objectif 2010) sont plus adaptés aux missions de Petersberg, notamment en matière de disponibilité et de réactivité opérationnelle.

* Une structure politico-militaire censée commander ces forces, dont le rôle opérationnel est difficile à définir, compte-tenu du fait qu’il ne s’agit pas d’un état-major opérationnel permanent, équivalent du SHAPE de l’Otan, le Royaume-Uni sous la pression américaine s’y opposant fermement. On pallie cette lacune par la mise à disposition d'un état-major opérationnel fourni par la nation cadre de l'opération. C'est le cas de l'opération EUFOR qui se déroule actuellement au Tchad.

1.1.2. Les interdits anglo-américains

Pourquoi cette faiblesse constitutionnelle, alors que les 27 Etats européens auraient pu, en regroupant et en coordonnant leurs ressources, disposer de plus de 3 millions d’hommes dont certains très entraînés, de moyens terrestres, aérospatiaux et maritimes dont la qualité et l’efficacité sont reconnues dans le monde entier (sans même mentionner les forces nucléaires stratégiques de la France et de la Grande Bretagne), dont la conception et la fabrication enfin, malgré des abandons de souveraineté de plus en plus dommageables, permettent encore d’entretenir des pôles industriels et d’innovation technologiques qui « tirent » toutes les entreprises européennes de pointe ?

Ceci parce que les Etats-Unis, relayés en Europe par les britanniques dans le cadre de la coopération nucléaire spéciale dite Special Relationship) n’ont jamais accepté que l’Europe soit autre chose qu’un appoint à l’Otan dont ils ont fait, sous leur direction et au service de leurs stratégies, un instrument tous azimuts de défense de leurs intérêts. Comme le confirme le traité rectificatif (art. 27) « La politique de l’Union… respecte les obligations découlant du Traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Otan… ». Or l’Otan avait été voulue, du temps de la guerre froide, comme un moyen de fédérer les politiques des Etats européens sous la tutelle de Washington. Cet objectif demeure. Les gouvernements européens l’acceptent encore par « atlantisme » rémanent, en tête desquels se trouvent quelques nouveaux entrants dans l’Union chez qui la peur de la Russie demeure d’autant plus forte qu’elle est entretenue par des provocations de l’Amérique à l’Est. Plus généralement, aucun Etat n'a la volonté de se démarquer de la puissance américaine et d'abandonner le confort financier résultant de cette dépendance. Le fait que les Etats-Unis veuillent désormais associer à l’Otan divers pays qui n’ont plus rien d’européen, tels le Japon et l’Australie, ne les gène pas. Pour les Américains, en dehors du fait de pouvoir faire appel à quelques contingents en renfort des leurs en Irak ou en Afghanistan, l’Otan demeure un très puissant moyen d’imposer à l’Europe leurs matériels militaires (et donc leurs industriels), leurs normes de fonctionnement et un état d’esprit de soumission aux innombrables officiers européens qui vont « faire leurs classes » souvent en Amérique et toujours sous commandement américain effectif.

Il s’ensuit donc que la défense de l’Europe est encore et restera à horizon visible de la responsabilité de l’Otan, c’est-à-dire de ses contributeurs et décideurs permanents, les Etats-Unis.

La dépendance des Etats européens vis-à-vis de l’Otan est rendue plus grande, dans les discours comme dans les faits, par la perte de vue volontaire d’un objectif européen de défense commune. Cet objectif est systématiquement oublié par les discours officiels qui assurent le dogme de la complémentarité parfaite de la PESD et de l’Otan, chaque organisation jouant prétendument sa partition, en évitant « toutes duplications inutiles et coûteuses ».

Il faut voir ce que cela signifie. On peut dire sans exagération que l’Occident dans la définition qu’en donne l’Amérique (Etats-Unis+Europe+quelques autres) mène à l’échelle du monde une guerre de plus en plus inefficace contre des ennemis dont cette guerre contribue en permanence à renouveler le recrutement. Elle vise pour l’essentiel à protéger les intérêts industriels (pétrole) et stratégiques américains. Elle oblige à étendre sans fin les opérations militaires (Afghanistan, peut-être un jour Pakistan et Iran) contre des combattants qui ont choisi d’autres formes de lutte, celles de la guerre de 4e génération. Elle coûte de plus en plus cher (3 à 5 trillions de dollars selon l’économiste Stieglitz pour la seule guerre en Irak). Ce ne sont pas les contribuables américains qui en supportent la charge, puisque le budget fédéral fait appel aux prêts du reste du monde (the rest of the world). Mais cela sera bientôt ce reste du monde qui en supportera le prix si les perspectives de crise généralisée du crédit se précisent.

En termes humains, les forces enfin que déploient globalement les Etats-Unis proviennent certes de l’US-Army, mais aussi des pays européens, directement ou à travers l’Otan. Or les Etats-Unis, en termes très brutaux, ne cessent de demander le renforcement des moyens européens sous leur commandement, notamment en Afghanistan. Devant la tournure de plus en plus irakienne que prend ce conflit, Washington avait récemment accusé l’Allemagne d’avoir oublié la tradition militaire valeureuse de la Wehrmacht, en affectant son contingent dans des zones relativement peu exposées. La France n’a pas été sommée aussi directement de renforcer sa présence, mais, comme nous le verrons le président Sarkozy n’a pas attendu de telles semonces pour y donner satisfaction par avance.

En contrepartie, si l’on peut dire, de cet énorme gâchis, qui n’apporte vraiment rien à l’Europe, les Etats-Unis refusent à cette dernière la possibilité de décider seule ce que sont ses impératifs de défense, qui doivent être ses alliées et quels moyens militaires et civiles elle doit affecter à sa défense et à sa sécurité. Ceci ressemble beaucoup à une politique coloniale, celle qu’avaient menée les puissances européennes durant la première guerre mondiale en enrôlant à leur service les troupes dites indigènes.

Les gouvernements européens ont beau jeu de dire qu’ils n’ont pas besoin d’augmenter l’effort de défense et même de le maintenir puisqu’il apparaît suffisant pour conduire correctement les petites opérations relevant de la PESD. La défense de l’Europe, c’est à dire le cœur de la défense, resterait assumé par l’Otan. Comptant sur l’Amérique, les gouvernements européens peuvent, à l’égard de leur opinion publique, se féliciter de ce que moins de 1,4% du PIB européen total soit consacré par l’ensemble des vingt-sept pays de l’Union à leur défense, contre plus de 3,8% pour les Etats-Unis, hors guerres en cours ; 400 dollars par habitant pour l’Union, 1200 dollars pour les Etats-Unis (il est vrai, comme nous le rappelions ci-dessus, financés en grande partie par des prêteurs internationaux).

Certains hommes d’Etat européens savent qu’il n’est plus acceptable que 500 millions d’Européens dépendent à ce point, pour leur sécurité, de 200 millions de Nord-Américains. Mais beaucoup soulagent leur conscience politique dans l’affirmation d’une communauté historique de valeurs et d’intérêts qui nous garantirait le soutien total des Etats-Unis en tous temps et en toutes circonstances. C’est faire preuve d’une grande naïveté vis-à-vis d’une superpuissance qui a toujours et partout imposé ses objectifs aux détriments de ceux des autres. On le voit encore aujourd’hui lors des affrontements de plus en plus vifs qui l’opposent aux autres pays, non seulement dans les questions d’accès aux matières premières et à l’énergie, mais en matière de lutte contre le changement climatique. Les Etats-Unis sont pleinement dans leur droit de se comporter en puissance égoïste, mais les autres pays n’ont aucune raison de les laisser faire aux dépends de leurs propres intérêts.

Pour lire la suite, faire
http://www.admiroutes.asso.fr/lagazette/08-18003/index.html


La défaite personnelle de Nicolas Sarkozy

La majorité UMP et les amis du président de la République s’acharnent à prétendre que le cuisant recul subi par la majorité aux élections municipales n’implique en rien Nicolas Sarkozy. En dehors d’un nécessaire « rééquilibrage », les électeurs auraient seulement voulu marquer leur hâte à voir repartir le « train de réformes » promis par ce dernier. De plus, selon la droite, la forte proportion d’abstentionnistes montre qu’en réalité, les électeurs ne s’intéressaient qu’à des enjeux locaux, vis-à-vis desquels beaucoup d’entre eux sont traditionnellement indifférents.

Il est évident au contraire que le score marque un rejet direct de la personne du président de la République. Ce rejet provient en grande partie de ceux qui avaient voté pour lui à la présidentielle. Outre le fait qu'ils n'ont rien vu venir en matière de pouvoir d'achat, ils ont été scandalisés par l’incohérence dangereuse de sa politique, qui remet en cause les fondements mêmes du pacte national. Ils ont non seulement voulu marquer leur désaccord vis-à-vis de l’affichage d’une vie désinvolte mais bien plus en profondeur, ils ont voulu condamner des initiatives irresponsables comme celles relatives à la laïcité, à la Constitution, à la télévision publique ou, dans le domaine de la politique extérieure, le retour à un atlantisme particulièrement inopportun aujourd’hui. Le comportement du chef de l’Etat n’est pas apparu comme liée à ses options politiques, mais à des faiblesses personnelles sans doute congénitales (génétiques ?) dans la capacité d’exercer le pouvoir suprême. Ne pouvant démissionner leur champion ni voter socialiste, ces électeurs de droite déçus se sont contentés de s’abstenir. Mais on doute que leur message, à supposer qu’il soit reçu, entraîne le moindre changement dans la façon de gouverner de Nicolas Sarkozy. On ne se réforme pas soi-même.

Pour le reste, il ne faut pas nous raconter d’histoire. Les électeurs de droite ne s’impatientent aucunement du retard pris par les prétendues réformes mais plutôt de l’inconsistance de ces réformes. Alors que la droite, comme d’ailleurs une grande partie de la gauche, attendait de véritables réformes, sur la recherche, l’industrie, l’éducation nationale, la santé, sans omettre le pouvoir d'achat, elle n’a eu droit qu’au paquet fiscal et à la suppression des régimes spéciaux de retraite. Si les réformes à venir doivent être du même style, alors le pays sera vraiment mal parti. 17/03/08'


http://www.admiroutes.asso.fr/lagazette/08-18003/index.html

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