Gazette d'Admiroutes du moi d'avril 2009, N° 193

Publié le par Jean-Paul Baquiast


Regards sur le mois d'avril 2009

Une actualité coincée entre le peu de résultats des politiques prétendument de lutte contre la crise et l'apparition d'une pandémie de grippe qui pourrait provoquer une aggravation de cette même crise.

Avril 2009, comme les mois précédents, n'a pas été marqué par des évènements d'ampleur internationale susceptibles notamment d'affecter les pays européens – sauf peut-être à l'extrême fin du mois l'annonce par l'Organisation Mondiale de la Santé d'une pandémie de grippe dite dorénavant A nécessitant à ce jour le niveau 5 de prévention, lequel risque d'être suivi comme on peut le craindre par le niveau 6. Celui-ci entraînera une fermeture plus ou moins poussée des frontières intra-européennes et de beaucoup d'entreprises et d'administrations. Autrement dit, en dehors des morts et dépenses directement imputables à la grippe, l'activité économique déjà très affaiblie diminuera encore. Les charges incombant aux collectivités pour le soutien aux personnes sans emploi ou dans l'extrême pauvreté augmenteront sensiblement, sans qu'apparemment les gouvernements et institutions se préparent à faire face à ces dépenses inattendues.

Signalons ici quelques uns des centres d'intérêt apparus en avril et nécessitant d'être suivis dans ces prochains mois.


Le G20 du 2 avril

Nous avons indiqué dans un éditorial précédent l'intérêt symbolique certain que représentait la réunion au sommet des nouvelles puissances émergentes avec celles constituant le groupe des 8 économies dites les plus riches du monde. Les pays pauvres n'y étaient pas véritablement représentés, mais la présence de la Chine, de l'Inde et du Brésil qui regroupent des centaines de millions de citoyens vivant autour du seuil de pauvreté empêche de dire que les questions de la croissance démographique et du niveau de vie des plus misérables aient été tenus à l'écart.

Néanmoins, en dehors de bonnes résolutions concernant la moralisation (le mot fait rire) des marchés financiers et des institutions de crédit, on voit mal quelles conséquences pratiques en découleront dans les mois qui viennent. La question des paradis fiscaux est exemplaire à cet égard. Lorsque les Etats-Unis et l'Europe, à commencer par eux, auront véritablement fermé les leurs, en supprimant le secret bancaire et l'aide à la fraude généralisée qu'ils offrent, on pourra vraiment dire que quelque chose a été changée. Nous n'en sommes pas là.

On a beaucoup insisté par ailleurs sur le nouveau rôle du FMI, présenté comme bénéficiant de financements renforcés provenant de ses membres (droits de tirages spéciaux ou DTS augmentés) destinés à soulager les Etats récemment entrés en crise, sans exiger d'eux les « réformes » dévastatrices imposées par ce que l'on appelait le consensus de Washington : économies budgétaires drastiques, gel des salaires, licenciements, etc. Un article de Arnaud Zacharie dans le dernier Monde diplomatique (Mai 2009, « La troisième vie du FMI », malheureusement non disponible en ligne) montre qu'il n'en est rien. Ainsi le 2 avril, le FMI annonçait la suspension de ses prêts à la Lettonie punie de ne pas réduire suffisamment ses dépenses publiques. Pour parler en termes techniques, le FMI continue donc à imposer l'austérité (mesures pro-cycliques) plutôt que s'engager dans des mesures contra-cycliques de type keynésien visant à enrayer la récession par des déficits budgétaires dûment justifiés.

L'auteur a raison par ailleurs d'insister sur le fait que rien n'a été fait là où le FMI pourrait jouer un rôle essentiel, résumé par l'ambition de fonder un nouveau Bretton Woods : mettre en place ou contribuer à la mise en place d'un étalon de change international se substituant au dollar, à la fois comme unité de change et monnaie de réserve. La Chine, comme nous l'avions signalé, avait proposé la création d'un nouveau système de réserve, fondée sur une devise supranationale faisant appel au dollar, au yuan, au yen et à l'euro, mobilisable selon une formule proche de celle des DTS. Peu de commentateurs ont dit que cette solution avait été approuvée par la commission d'experts de l'ONU sur la crise financière, présidée par Joseph Stiglitz, ainsi que par la Cnuced. Néanmoins, elle n'a pas été abordée.

Tant que les Etats-Unis ne soutiendront pas cette réforme, de peur de perdre, en perdant la suprématie du dollar, un moyen commode de financer une dette publique qui devrait augmenter d'au moins 40% dans les 4 prochaines années, rien ne se fera. Or Barack Obama, digne représentant de Wall Street, ne veut surtout pas toucher au statut du dollar. La Chine, de son côté, grande créancière des Etats-Unis en dollars, n'acceptera une telle réforme que si ses dettes étaient converties dans la nouvelle monnaie internationale. Reste à espérer que les créanciers internationaux prêteurs de dollars comprendront eux-mêmes, dans quelques mois, qu'ils participent au maintien de la bulle des bons du Trésor américain, laquelle ne pourra que crever. Le plus tôt ils s'en retireront, le mieux cela sera – y compris pour l'Europe, première victime de cette domination du dollar 1).

1) Concernant l'euro et son rôle stabilisateur, certain mais encore insuffisant, on lira le dernier livre de Christian Saint Etienne, « La fin de l'euro » chez Bourin Editeur. Il ne s'agit pas d'une nouvelle charge contre l'euro mais d'une mise en garde que nous avons souvent faite ici. Si les Etats de la zone euro ne mettent pas en place rapidement un gouvernement économique de la zone, l'euro, avec l'élargissement continu et la crise, court un risque d'éclatement à bref délai. L'auteur propose un plan de relance de la construction européenne sur la base d'une clarification des objectifs de cette construction, autour si possible d'un noyau dur France-Allemagne et Bénélux. Voir http://christiansaint-etienne.eu/blog/index.php?


Evolution du Pakistan

La radicalisation croissante de l'islamisme au Pakistan, complétée par une avancée spectaculaire des Talibans pakistanais, a fait craindre un basculement du pays dans l'islamisme combattant. Le gouvernement bien qu'affaibli, semble cependant vouloir réagir. Mais tout dépendra de ce que feront l'Armée et les services de sécurité (ISS) vis-à-vis des talibans d'Afghanistan et de ce qui reste d'Al Quaïda. Un discours de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton a semé l'alerte, annonçant un risque majeur pour la paix dans le monde, du fait notamment à ce que le Pakistan s'est doté de l'arme atomique. Mais en sens contraire, les services américains ont rappelé (à tort ou à raison) qu'ils disposaient de la clef d'accès à cet arsenal et ne permettraient pas d'usages intempestifs.

L'Europe, selon nous, devrait insister sur la solution de bon sens : que les Etats-Unis et leurs alliés de l'Otan se retirent d'Afghanistan et cessent d'agiter les zones tribales par des frappes aériennes multipliant les recrutements de combattants islamiques. Il faudrait négocier tant avec l'Afghanistan et le Pakistan qu'avec l'Iran, sur un plan non militaire mais économique et diplomatique. Malheureusement, l'Europe est trop inféodée à l'Amérique, via notamment l'Otan, pour tenir un tel discours. Une des menaces qui pèse sur le Pakistan, au demeurant, n'est pas liée à l'islamisme, mais à la crise mondiale, qui va toucher fortement un pays sans guère de ressources. Ce sera une cause accrue d'instabilité.


L'Otan et le renforcement de l'influence américaine en Europe

C'est un tel renforcement, nié par ceux qui mettent en valeur le dégel apporté par Barack Obama à l'égard de la Russie voire de l'Iran, qu'a montré la dernière réunion de l'Otan à Strasbourg le 3 avril, pour fêter les 60 ans de l'Organisation. Barack Obama avait fait aux Européens la grande grâce d'y assister. Rien de substantiel n'est à retenir de cette réunion, sinon le recrutement de 2 nouveaux membres, l'Albanie et la Croatie. Le retour de la France dans l'Otan, que Nicolas Sarkozy espérait voir salué de façon spectaculaire, fut effacé par la demande du président américain visant à renforcer les contingents présents en Afghanistan, avec les risques dénoncés dans l'item précédent. Rien donc n'a pu être évoqué sérieusement concernant le renforcement des moyens de défense européenne hors Otan.

Dans ces conditions, le fait que le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen ait été nommé successeur du secrétaire général actuel Jan de Hoop Scheffer enferme plus encore qu'auparavant l'Union européenne toute ensemble dans sa dépendance à l'Otan et aux Américains. Un Premier ministre, ce n'est pas rien. Pourquoi pas le nôtre ? Ceci à un moment où l'activisme des Etats-Unis dans sa lutte contre l'influence russe et plus généralement pour le renforcement de son influence dans le Caucase et les régions voisines ne cesse de s'exercer. On le constate avec les injonctions permanentes, répétées récemment encore par Barack Obama, poussant à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne...De quoi se mêle-t-il ?

On le voit aussi du fait des investissements diplomatiques et financiers des Etats-Unis pour la réalisation d'une liaison autoroutière entre Tirana en Albanie et Pristina au Kosovo. Une autoroute sera peut-être utile (une voie ferrée aurait été préférable) mais il s'agit en l'espèce d'un projet d'au moins 1 milliard d'euros, financé par des fonds d'origine douteuse et bénéficiant en priorité à la firme américaine Bechtel, dont les ambitions européennes en matière de travaux publics et de pénétration relevant de l'espionnage économique sont bien connues. La démarche vise concrètement à réaliser le projet de Grande Albanie incluant le Kosovo. Elle est dirigée évidemment contre l'influence serbe et russe. Elle vise tout autant à renforcer l'implantation américaine dans la zone, en reliant à un port de mer, Durëss en Albanie, la grande base US de Campbondsteel au Kosovo. Tout ceci justifie amplement, aux yeux de l'Otan et surtout des Américains, l'entrée de l'Albanie dans l'Otan.

Pour en revenir à la Turquie, celle-ci il est vrai semble de moins en moins intéressée par l'alliance américaine et négocie activement avec la Russie et les pays du Caucase, y compris l'Arménie, une normalisation des relations de voisinage. Par ailleurs, elle va acheter de plus en plus d'armes russes. Voilà ce qui devrait être un thème intéressant à suivre par la diplomatie européenne si celle-ci n'était pas aux ordres des Américains concernant ses relations avec ses voisins orientaux. Il est vrai que le rapprochement possible de la Turquie avec la Russie ne signifie pas une atténuation de son islamisme (dit modéré). Si elle reproche à l'Otan la nomination du danois Anders Fogh Rasmussen, c'est pour la très mauvaise raison de son rôle supposé dans le soutien aux caricatures de Mahomet.


Les 100 jours d'Obama

Un sentiment de dévotion entoure la célébration des premiers “cent jours” du président Obama. Il y a presque unanimité pour l'homme, au-delà des extrêmes néocons qui lui reprochent de brader l'empire. L'opinion publique, selon les sondages, porte en général un jugement très favorable sur le président, en grande partie due à son charme personnel et au statut de Black bien intégré qu'il a réussi à conserver, ceci quels que soient par ailleurs les jugements sur la politique.

Là au contraire, il est difficile, tant pour les observateurs américains que pour nous-mêmes, de nous prononcer. Sur le plan intérieur, où il s'est engagé personnellement le plus, il apparaît finalement comme très proche d'une représentation intelligente du lobby dit de Wall Street. Il a choisi un fort interventionnisme à l'égard des directions des établissements financiers et du secteur industriel, automobile notamment. Mais il s'agit seulement de sauver les meubles au profit du capitalisme financier dont il ne remet pas en cause la prédominance et auquel il promet de rendre les rênes dès que possible. Sur le plan extérieur, là encore, il entérine des retraits diplomatiques rendus indispensables par l'augmentation des dépenses d'intervention militaire. Mais il ne fait rien qui puisse lui être reproché par les plus intransigeants des représentants du complexe militaro-diplomatico-industriel. Vis-à-vis d'Israël enfin, dont le radicalisme accru à l'égard des Palestiniens de l'extérieur et de l'intérieur était censé devoir susciter son intervention apaisante, on ne l'entend plus guère s'exprimer.

La crise économique et les pertes d'emplois continuant à s'étendre en Amérique, Barack Obama sera sans doute vite obligé de prendre des positions plus tranchées. Se rangera-t-il à l'intérieur derrière les défenseurs de l'ordre ancien, y compris militairement ? Ou s'engagera-t-il dans des politiques de vraies nationalisations, analogues à celles que nous préconisons par ailleurs, lui permettant de réformer le système capitaliste en profondeur ? Cette dernière hypothèse nous parait hautement improbable, pour le moment.


Union pour la Méditerranée

Le Monde du 29 avril, p. 17, a publié une défense et illustration de l'Union pour la Méditerranée, signée de diverses personnalités, dont la députée socialiste Elizabeth Guigou. L'union progresserait dans les faits, rassemblant de plus en plus de ressources et de projets provenant des Etats membres. Si cela se confirmait, ce serait une bonne chose, que l'Union européenne devrait approuver et soutenir sans ambiguïté. Dans le cas (il est vrai plus limité) des rapports franco-algérien, on ne peut pas dire que la dernière réélection, quasiment plébiscitaire, du président Bouteflika (avec une participation de 74%, qui était inespérée), contribue à la détente. Des contentieux lamentables sur des problèmes de droit de garde où l'Etat Algérien et Bouteflika lui-même soutiennent sans nuances des parents algériens pré-emptant des enfants nés de mariages mixtes donnent une triste image de la cohabitation forcée entre les deux cultures.

Risques de durcissement des rapports sociaux en Europe

Au-delà de manifestations spectaculaires mais limitées visant à séquestrer moins des patrons et actionnaires que des cadres, le risque évoqué à l'envie d'une explosion sociale, que ce soit en France ou ailleurs, nous parait encore très excessif. Renvoyons sur ce point à ce qui devrait être la revendication de fond venant de ceux qui veulent changer voire remplacer le système capitaliste, une nationalisation ou renationalisation de l'ensemble des secteurs stratégiques européens. Ce serait là du sérieux et du solide. Inutile de dire que personne n'en parle vraiment pour le moment. Mais dans quelques mois, le paysage économique et social aura sûrement, crise climatique aidant, quelque peu changé. Voir notre article sur ce thème à propos des manifestations du 1er Mai : http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=283&r_id=


Sélection d'articles publiés sur le site Europe solidaire en avril

Evènements

Risque de pandémie de la grippe dite dorénavant nord-américaine A(H1N1)
30/04/2009
Dans la perspective de l'explosion d'une telle pandémie, nous reprenons ici, en l'adaptant, un texte publié par nous il y a 4 ans dans un dossier intéressant les précédentes menaces de grippe aviaire. (...)

La CME, méga-catastrophe naturelle à envisager
24/04/2009
Parmi les mega-catastrophes naturelles susceptibles de menacer ou détruire les civilisations terrestres, on évoque, outre des éruptions volcaniques de grande ampleur, la chute d'un astéroïde important. Mais jusqu'à présent, l'attention n'avait pas été attirée sur la possibilité d'une éjection coronale massive en provenance du soleil (coronal mass ejection, CME).

Analyses

Elections européennes et démission du politique
25/04/2009
Nous ne pouvons dire exactement ce qu'il en est des autres pays européens. Mais pour la France, ce terme de démission du politique, à l'approche des prochaines élections au Parlement de Strasbourg, s'impose.


La Nasa sera-t-elle sacrifiée à la crise financière - ou au profit capitaliste ?

26/04/2009
Même si l'on ne se dissimule pas que la Nasa a toujours servi de fer de lance au softpower par lequel depuis Kennedy l'Amérique s'efforçait de régner sur les esprits du monde entier, on ne peut pas nier qu'elle était aussi le représentante la plus emblématique d'une démarche (relativement) désintéressée pour découvrir les secrets de l'univers et porter l'homme au-delà de ses limites. Or aujourd'hui, son empire semble menacé, non seulement par la crise financière qui obère les finances publiques de l'Etat, mais par la rapacité des intérêts privés qui veulent faire du profit à sa place, en lui retirant ce qui faisait sa noblesse.


Actualités

Financer la guerre ou la paix ?
25/04/2009
Un article récent de De Defensa, intitulé « Déconstruction de la guerre » ( voir lien en note) ) et comme toujours très intéressant, pose une question qu'il faudra bien aborder rapidement, non seulement aux Etats-Unis mais en Europe : comment gagner les guerres sans faire appel à la force brute, généralement l'appui aérien, qui par ses dérives suscite le recrutement de 10 candidats combattants pour 1 combattant « neutralisé ».

Ne jamais rien concéder aux islamistes

23/04/2009
C'est la leçon qui découle de l'affaiblissement actuel du gouvernement pakistanais face aux talibans avec lesquels il avait cru composer en leur reconnaissant le droit à appliquer la charia dans le district de Swat. La leçon s'applique aussi à l'Europe : ne jamais rien concéder. Toute concession est un tremplin pour de nouvelles extensions.


Livre

Confession d'un banquier pourri, par Cresus
Ce livre est déjà un succès de librairie. Il éclaire les comportements d'un monde présenté par ses protagonistes comme exemplaire. A rapprocher des "réflexions" de Georges Soros, examinées ici précédemment.

Publié dans gazetadmiroutes

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