Gazette d'Admiroutes N° 171 du 15/11/2007

Publié le par Jean-Paul Baquiast

Lire aussi sur Admiroutes - Automates Intelligents - Europa++:
* L'euro monnaie étalon internationale? http://www.pan-europe.org/article.php?article_id=306&rubrique_id=
* Le Plan B de Lester Brown http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/85/brown.htm
* Pour un gouvernement économique, financier et social de l'Europe. Francis Mer http://www.pan-europe.org/article.php?article_id=297&rubrique_id=
* Faut-il craindre l'inflation ? http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/85/inflation.htm
* Le paradoxe indien et autres revues de livres http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/85/livresenbref.htm


Airbus devance Boeing à Dubaï. Très bien mais…

On ne peut que se réjouir de la remontée d'Airbus au salon aéronautique de Dubaï. Les succès commerciaux de l'avionneur retentissent non seulement sur son propre bilan mais sur un certain nombre d'entreprises européennes de haute technologie. Nous ferons cependant deux remarques, visant à remettre ces évènements en situation.

L'européen Airbus a repris l'avantage sur son rival américain Boeing en terme de commandes. C'est ce que l'on observe après les trois jours du Salon aéronautique de Dubaï, où ont été annoncés des contrats records passés avec des compagnies du Golfe. Airbus a obtenu des commandes et intentions d'achat de l'ordre de 290 avions. Boeing de son côté annonce 177 intentions d'achats et commandes fermes (qui ne sont pas exactement comparables aux commandes qu'annonce Airbus). Pour cette année Boeing a comptabilisé 964 commandes fermes et Airbus 1.179 commandes fermes. L'avionneur européen s'attend désormais à battre son record de 2005 qui était de 1.111 commandes et pense se partager en gros le marché avec son concurrent. En 2006, il avait dû laisser sa place de premier à Boeing.

Après le Salon de Dubaï, les commandes fermes et les intentions d'achat passées avec Airbus et Boeing ont totalisé 458 avions, pour un montant d'environ 75,5 milliards de dollars, selon un décompte de l'AFP qui n'incorpore pas les options. Malgré le renflouement de son carnet de commandes à Dubaï, Airbus a réaffirmé qu'il allait poursuivre son plan de restructuration Power8 qui doit se traduire par 10.000 suppressions d'emplois chez les "cols blancs", mais qu'il allait en retour embaucher des ouvriers pour faire face à l'augmentation des cadences.

Nous ne pouvons que nous réjouir de la remontée d'Airbus, dont les succès commerciaux retentissent non seulement sur son propre bilan mais sur un certain nombre d'entreprises européennes de haute technologie – comme d'ailleurs, ne l'oublions pas, sur les fournisseurs américains du constructeur. Nous ferons cependant deux remarques, visant à remettre ces évènements en situation.

- Pourquoi cette remontée du A350 qui a enregistré un nombre important de commandes alors qu'il n'est encore que virtuel et que son concurrent de Boeing, le 787 Dreamliner, effectuera prochainement (malgré un petit retard) son entrée en service ? Ce résultat est-il du aux qualités intrinsèques de l'appareil ou à une politique commerciale habile ?

- Les nouveaux clients d'Airbus, à part l'exemple signalé de British Airways, sont en majorité des compagnies du Golfe Persique. La presse a glosé à ce sujet sur le cas d'un prince qui vient de s'acheter un A380 afin de le transformer en résidence volante personnelle. Airbus, comme toutes les entreprises européennes qui vivent de contrats mirifiques dans la région (notamment dans les infrastructures et l'immobilier) recycle donc des pétro-dollars au profit de l'économie européenne. C'est très bien. Il vaut mieux que cet argent revienne en Europe, en compensation si l'on peut dire de nos achats de pétrole, qu'aller ailleurs. Mais d'un point de vue macro-économique et environnemental, il y a là quelque chose de malsain. Parce que nous continuons à consommer du pétrole plus que raisonnable, au lieu de développer des technologies alternatives plus propres et surtout dont nous aurions la maîtrise économique, nous donnons à des Etats et des particuliers qui n'ont aucun mérite à exploiter leurs réserves de pétrole la capacité d'arbitrer sur la prospérité et le développement technologique de nos sociétés.

Les pouvoirs que nous leur conférons vont plus loin que celui de décider de la prospérité ou de la mort d'Airbus. On sait qu'une partie des pétro-dollars qui reviennent, après le prélèvement des sociétés pétrolières, dans la poche des potentats de la région servent à alimenter des fonds d'investissement qui pourront progressivement racheter, comme on l'a dit pour faire image, la totalité des entreprises du CAC 40. Ils servent aussi, mais nul n'ose le dire clairement de peur de choquer, à financer la propagation dans le monde entier d'un islamise de combat, quand ce ne sont pas directement des organisations terroristes. 13/11/07

PS au 15/11. Il semble que le back slash ou coup de fouet en retour ne tardera pas à se faire sentir. Il apparaît (Le Monde, 14/11/07, p. 14) que la compagnie Emirates veut faire de Dubaï un hub mondial (plaque tournante) pour le trafic aérien. Roissy et Heathrow seront ainsi cour-circuités, ainsi que les compagnies européennes basées sur ces sites. Au final, ce seront les actionnaires de ces compagnies et finalement les contribuables européens qui seront perdants.

Quant à l'apport des pétro-dollars aux fondamentalistes musulmans en Europe, nous venons d'en avoir un exemple récent, signalé par Charlie-Hebdo. Des fonds arabes viennent de financer une chaire universitaire en Hollande, au profit du fondamentaliste Tarik Ramadan. Les étudiants n'ont pas absolument tort quand ils se méfient des financements privés. Un train peut en cacher un autre.

Notre appétit de pétrole nous perdra. Comme quoi, Lénine en son temps n'avait pas tort, mutatis mutandis, de dire que l'occident capitaliste finançait la corde avec laquelle on allait le pendre.


Les bénéfices des pétroliers

Le gouvernement français demande une nouvelle fois aux pétroliers opérant en France de modérer la répercussion sur les prix à la pompe de la hausse des prix du pétrole sur le marché international. L’argument est que les pétroliers peuvent bien faire cet effort puisqu’ils encaissent sous forme de bénéfices une grande partie de ces hausses. La réponse des pétroliers sera la même que d’habitude : « Nous ne pouvons pas nous engager dans cette voie car nous sommes des opérateurs internationaux. Nous faire pénaliser sur le marché français, bien qu’il soit marginal pour nous, serait inacceptable et nous conduirait à prendre nos distances vis-à-vis de la France. Or celle-ci a besoin d’industries pétrolières compétitives, dans la concurrence mondiale sur l’énergie. De plus, une partie de nos bénéfices est réinvestie dans la recherche et l’extraction, qui coûtent de plus en plus cher ».

Un certain nombre d’organisations de consommateurs persistent à demander des subventions, quelles qu’en soient les sources, pour leur permettre de continuer à utiliser autant de carburant qu’avant à coût constant. Il s’agit de demandes suicidaires et le gouvernement aurait tort d’y prêter l’oreille. L’UFC Que choisir vient le 9 novembre d’exprimer une position plus sensée : « Ce qu’il faut, dit-elle, c’est diminuer la consommation de pétrole et la hausse de celui-ci peut y aider. Mais comme il est vrai qu’en attendant les pétroliers encaissent des superbénéfices, le gouvernement devrait les inciter à financer des investissements d’infrastructures, par exemple dans le domaine des transports en commun ferroviaires ».

UFC Que choisir est sur la bonne voie, mais l’organisation semble oublier l’argument des pétroliers rappelé ci-dessus selon lequel, étant des opérateurs internationaux, ils fuiront, d’une façon ou d’une autre, toute charge pesant spécifiquement sur eux dans un Etat isolé. Ne mentionnons pas une réponse plus diplomatique, qu’ils ne manquent pas de faire : « Nous investissons déjà beaucoup dans les énergies renouvelables ». Ces investissements, en effet, rapprochés des dizaines de milliards de dollars de bénéfices des compagnies pétrolières, sont marginaux. On parle à juste titre de « greenwashing » (Je lave plus vert, mais seulement pour la galerie).

L’Europe a besoin de grandes infrastructures, notamment ferroviaires. Les développer suppose des investissements publics et privés européens conjoints. On pourrait très bien concevoir que les pétroliers vendant sur le marché européen soient appelés sous une forme ou une autre à y contribuer. Mais il faudrait que ceci soit décidé au niveau européen, avec l’accord de tous les Etats concernés. Les projets devraient par ailleurs être visibles et bien gérés, en affichant clairement la contribution des firmes pétrolières et en leur assurant, pourquoi pas, un retour sur investissement à long terme. L’Europe d’aujourd’hui est-elle capable de mener de telles politiques ? Répondons avec notre foi européenne bien connue qu’elle devra s’y résoudre un jour prochain, sous la pression de la nécessité. Mieux vaudrait que le gouvernement français y prépare les opinions sans attendre . 13/11/07


Les gesticulations de Sarkozy en Amérique

Nous préférons ne pas commenter le spectacle donné par Nicolas Sarkozy, clamant au Congrès, la main sur le coeur, son amour de l'Amérique puis main dans la main avec Bush, le leader politique le plus haï de la planète. Il ne grandit ni la France ni l'Europe en se comportant ainsi. De quel droit s'autorise-t-il à nous impliquer de cette façon, simplement pour se faire applaudir?


Le brouillage des téléphones portables

On commence à voir apparaître sur le marché des brouilleurs (jammers) de téléphones portables, efficaces dans un rayon d'une dizaine de mètres. Leur usage est illégal (encore que ...). On peut craindre des usages malveillants voire criminels, mais ils intéressent beaucoup de gens gênés par les conversations des bavards impénitents dans les lieux publics. 09/11/07

* Article du NY Times
http://nytimes.com/2007/11/04/technology/04jammer.html?ex=1210050000&en=ffb8152ab2245c2d&ei=5087&excamp=mkt_at1


Libéral-interventionnisme et humanitarisme commercialo-politique

On peut se demander pourquoi une affaire apparemment aussi triviale que celle de l’Arche de Zoé agite depuis des jours les gouvernements et les chancelleries, les médias et l’opinion. Ne prononçons pas de jugement dans ce cas précis, puisque les tribunaux en sont saisis. Nous pouvons seulement remarquer que l’exploitation à des fins égoïstes des enfants du tiers-monde ne date pas d’hier et n’est pas près de s’arrêter. L’affaire récemment découverte des enfants esclaves indiens travaillant pour l’industriel américain GAP en est un autre exemple. Mais GAP, par employeurs indiens interposés, ne fait pas de charité, il fait seulement du business. Ce n’est pas le cas de l’humanitaire, qui se déploie en faisant appel à de nobles sentiments. Or l’humanitaire, on le sait depuis longtemps, sert souvent de prétexte à des activités commerciales où excellent les professionnels de ce que l’on a justement nommé le charity-business. Ce sont parfois des enfants qui en sont les victimes. Pourquoi s’en étonner, aujourd’hui plus qu’hier?

C’est que le devoir d’ingérence humanitaire, proclamé notamment en France par des personnalités éminentes, ressemble beaucoup à ce que la politologue américano-britannique Janet Daley appelle – pour s’en faire l’avocate – le liberal-interventionnisme. Cette dame (notre photo) , dans un article récent du Telegraph, s’en prend au leader conservateur britannique David Cameron qui a le tort, selon elle, de condamner au nom d’un nécessaire réalisme le bel idéalisme qui pousse les Etats-Unis à intervenir partout dans le monde pour rétablir les libertés et les démocraties. Ce n’est pas, dit-elle, parce que l’intervention en Irak a mal tourné que ses motifs étaient mauvais et qu’il faut en tirer la conclusion que ce qu’elle appelle le libéral-interventionnisme est condamnable. Pour elle au contraire, face au "réalisme" d’un Cameron et à la lâcheté congénitale des Français qui poussent au non-interventionnisme, le libéral-interventionniste a été et demeure l’apanage des Américains, dignes descendants de ceux ayant fui l’Europe pour échapper aux tyrannies. Pour Janet Daley, il est immoral de le contester, comme il est immoral, plus généralement, de contester la domination de l’Amérique, patrie ultime de la liberté et de la civilisation.

Ce discours hyper-moral n’attrapera que les gogos, car un minimum d’information a montré que si les néo-conservateurs sont intervenus en Irak, c’était pour le pétrole et d’autres raisons plus sinistres. De même les interventions américaines précédentes (au Chili du temps d’Allende, par exemple) ou contemporaines (en Europe de l’Est, pour ne citer qu’elles) ne visaient pas principalement à libérer les peuples locaux de l’oppression.

Il se trouve que les Européens, à commencer par David Cameron qui n’a rien d’un anti-américaniste compulsif, ne semblent plus décidés à se laisser piéger par les bien- pensants du libéral-interventionnisme à l’américaine, fussent-ils défendus par une aussi grande plume que celle de Janet Daley. Mais par contagion, et c’est là que nous retrouvons l’affaire de l’Arche de Zoé, ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur l’ingérence humanitaire et sur les motifs politiques ou commerciaux qui se dissimulent sous de grands principes. Nous ne voulons pas dire qu’il faudrait laisser mourir de faim sans réagir les populations du tiers-monde. Nous voulons seulement dire, comme Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières l’avait fort clairement rappelé ces derniers jours sur les radios françaises, qu’un minimum de réflexion s’impose avant d’annoncer urbi et orbi que telle partie du monde est en danger imminent et légitimer ainsi des interventions dont la pureté n’est pas la première vertu.

Beaucoup d’Africains, d’après ce que nous en savons, ne sont pas loin de partager ce point de vue. Si nos amis des pays riches nous laissaient tranquilles, disent-ils, nous saurions bien nous tirer d’affaire seuls 04/11/07

* Article du Telegraph http://www.telegraph.co.uk/opinion/main.jhtml?xml=/opinion/2007/10/29/do2901.xml


Un néo-atlantisme inacceptable

Laurent Cohen Tanugi est normalien, diplômé de Harvard, associé au cabinet d’avocats internationaux Skadden Arps. Il a écrit plusieurs livres et articles sur les affaires européennes et transatlantiques. La ministre française des finances Christine Lagarde vient de lui confier une Mission de réflexion sur l'Europe dans la mondialisation. Il est donc intéressant d’étudier les idées que dans son dernier ouvrage, Guerre ou paix. Essai sur le monde de demain, il propose à ce sujet.

Ce ne sera pas faire injure à l’auteur que le classer parmi les personnalités représentatives en France d’un « atlantisme » dominant la pensée politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Appelons atlantistes, très rapidement, ceux qui pensent que la France et que l’Europe ne peuvent se développer sainement que dans la mouvance et sous la protection de l’Amérique. De telles personnalités sont très influentes et ont toujours été écoutées par les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite. Elles représentent évidemment des intérêts économiques et culturels rejetant comme illusoire voire dangereuse l’idée que l’Europe puisse chercher en elle-même les ressources d’une puissance et d’une indépendance suffisante. Aujourd’hui, compte tenu notamment de la volonté affichée par Nicolas Sarkozy de se démarquer de la politique de son prédécesseur, qu’il a condamnée comme une opposition stérile à Washington, ces personnalités atlantistes pensent être de nouveau pouvoir orienter la politique française.

Ceci dit, Laurent Cohen Tanugi a le mérite de se démarquer des atlantistes à l’ancienne, qui portaient sur le monde un regard simpliste hérité du temps de la guerre froide et qui sont assez naïfs pour continuer à voir dans les Américains, soixante ans après, les libérateurs de 1944. Pour ces défenseurs de l'alliance atlantique, les Etats-Unis ayant protégé l’Occident du péril communiste doivent continuer à jouer ce rôle tutélaire face à de nouveaux ennemis assimilés de façon simpliste aux terroristes islamiques et aux Etats dits voyous qui les protègent. Laurent Cohen Tanugi veut au contraire montrer que le monde est en train de se complexifier à une vitesse considérable, ce qui dément l’illusion de la fin de l’histoire annoncée par Francis Fukuyama. Etant très averti des réalités de la géopolitique, il présente dans les deux premiers tiers de son ouvrage une description pertinente des nouveaux empires qui sont en train de se mettre en place dans le cadre de ce que l’on appelle la mondialisation. On peut contester tel ou tel détail de la liste des conflits en cours ou prévisibles qu’il dresse pour nous, mais dans l’ensemble nous ne pouvons que souscrire à ce tableau. Il serait temps que ceux des Européens qui ne se sont pas mis encore à l’heure de cette mondialisation agitée sortent de leurs illusions sur le village global et les bienfaits d’une croissance conduite par la main invisible du libéralisme. Ajoutons que pour nous, cette analyse n'est pas une nouveauté puisque c'est précisément sur elle que repose notre exigence d'une Europe Puissance.

Le diagnostic de l’auteur ne cache pas que les erreurs stratégiques des Etats-Unis ont considérablement affaibli sa puissance. Les Etats-Unis resteront un Empire, pour diverses raisons qu’il nous détaille, notamment la force de son armée et l’excellence de son appareil techno-scientifique. Mais ils devront partager avec la Chine et peut-être avec l’Inde le leadership du monde global, y compris dans ce même domaine techno-scientifique. L’évolution future des pays musulmans lui parait difficile à prédire et possiblement menaçante, du fait notamment de l’instabilité actuelle des deux grands pays représentant cet axe, l’Iran et le Pakistan. Quant à l’Europe, ayant renoncé à assurer son avenir institutionnel par son Non dramatique au projet de Traité constitutionnel, s’étant divisée à l’occasion de la guerre américaine en Irak entre vieille et nouvelle Europe, selon les termes de Donald Rumsfeld, incertaine sur ses limites géographiques et culturelles, elle lui parait en risque de disparaître des radars de l’observation stratégique.

Nous ne contesterons pas ce diagnostic, trop sommairement résumé ici. Tout au plus ne serons nous pas d’accord avec l’auteur quand il considère que Chirac et Schröder, par une opposition maladroite à G.W. Bush, ont inutilement dégradé la position diplomatique de l’Europe. Nous pensons au contraire que cette décision aurait pu marquer la renaissance de l’Union, dont, n'ayant pas peur des mots, elle a sauvé l'honneur au regard de l'histoire. Encore aurait-il fallu qu’elle soit suivie de décisions significatives permettant de renforcer la compétitivité technologique et militaire du couple franco-allemand et de l’Union toute entière.

Là où nous nous séparons radicalement de Laurent Cohen Tanugi, c’est dans la façon dont il voit l’avenir de ce que l’on pourra continuer à nommer l’Occident. Nous pouvons admettre que dans le monde multipolaire conflictuel qui se met en place, l’Amérique comme les pays européens puissent représenter un ensemble de valeurs et d’intérêts résumés par le terme d’Occident - à condition de ne pas en barrer l’accès à des pays déjà proches ou susceptibles de s’en rapprocher, tels que ceux de l’Amérique Latine ou de la Méditerranée. Mais nous ne pouvons suivre l’auteur quand il affirme que l’Amérique doit continuer à jouer presque exclusivement le rôle de leader ou, pour reprendre son terme, de sentinelle de la liberté, dans les combats nécessaires à la défense de cet Occident, de ses valeurs et de ses intérêts. Ceci voudrait dire que l’Europe devrait du fait de ses impuissances congénitales se contenter indéfiniment du rôle de second. Pour Laurent Cohen Tanugi, ce rôle de second, disons dans la meilleure des hypothèses de brillant second, assurerait au mieux l’avenir de l’Europe dans une mondialisation conflictuelle où seule elle ne pèsera guère. Aussi bien ne cherche-t-il même pas à montrer comment l’Europe pourrait, en prenant de l’indépendance à l’égard de l’Amérique, valoriser ses atouts dans la perspective d’une recherche de puissance qu’il juge d’avance illusoire. Nos analyses sur le besoin d'une souveraineté technologique européenne ne l'ont pas effleuré.

Nous pensons qu’il se trompe ou qu’il nous trompe en faisant miroiter pour l’Europe la possibilité d’un rôle de second dans la « nouvelle alliance atlantique » qu’il propose. Les Etats-Unis n’ont ni la volonté ni même la capacité de partager leur pouvoir, en quelque domaine que ce soit. Ceci pour des raisons que nous pourrions qualifier de systémiques et que nous avons analysées par ailleurs. Nous relatons régulièrement dans cette revue des incidents ou déclarations qui le démontrent amplement. Le remplacement des républicains par les démocrates ne changera rien à la chose. Les Etats-Unis ne peuvent tolérer sous eux que des caniches, comme le pauvre Tony Blair l’a compris à ses dépens. L’Europe doit tracer sa voie vers la puissance en comptant sur ses propres forces. La France peut et doit à cet égard lui proposer des projets ambitieux. Peut-être s’agit-il là d’un rêve. Nos gouvernements européens, nos opinions se montreront peut-être en dessous de ce grand défi. Au moins faudra-t-il essayer. Vouloir capituler avant le combat relève d’un comportement que nous ne qualifierons pas ici pour que le débat reste serein.

* Laurent Cohen Tanugi, Guerre ou paix. Essai sur le monde de demain, Grasset


Le pétrole à 100 dollars ou l'incohérence de nos gouvernants

On peut comprendre qu'un président de la République ayant mis l'augmentation du pouvoir d'achat parmi ses priorités perde ses repères face à la hausse du prix des carburants. Mais lorsque le même président s'est fait lors du Grenelle de l'environnement le chantre d'une sorte de changement civilisationnel, il devrait considérer cette hausse comme providentielle en lui permettant de montrer qu'il est capable de passer des discours aux actes. Plutôt que supplier l'OPEP de produire davantage - ce qui est un rien humiliant au demeurant - ou laisser penser que la TIPP sera abaissée (adieu alors les projets de taxe carbone), le gouvernement devrait au contraire faire comprendre à tous qu'il est temps de changer. Pour cela il devrait encourager, y compris par le discours car le discours compte, la mise en place de nouveaux comportements, de nouvelles techniques et de nouveaux produits - particulièrement au bénéfice des citoyens à faible revenu.

Le cas des pêcheurs est illustratif. D'une part, la réduction des quantités capturées sera une bonne chose pour la ressource. D'autre part, si on ne veut pas condamner les chalutiers à la disparition totale et immédiate, il faut que des quantités réduites de captures leur rapporte autant. Autrement dit, d'une part la distribution doit cesser de prélever des marges injustifiées dont les producteurs font les frais, d'autre part le consommateur doit payer le poisson à son juste prix, c'est-à-dire plus cher. Que l'on ne me dise pas que cela affamerait le consommateur pauvre. Le projet d'une TVA portant sur le produit et reversée en partie aux pêcheurs pourraient être une piste dans ce sens, mais elle n'entraînera pas à elle seule la réforme des circuits de distribution. Il va de soi que cette TVA devrait frapper aussi les poissons importés. Et donc que le gouvernement devrait sans attendre en discuter à Bruxelles. CQFD 03/11/07


Comment transformer un tigre de papier en piège à c...?

Dans Le Monde du 2 novembre, p. 15, un certain Martin Van Creveld, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste des questions stratégiques (les professionnels de la profession vérifieront sa compétence…) expose une thèse qui nous intéresse d’autant plus que nous l’avions déjà évoquée. Selon lui, les défenses militaires de l’Iran, dont il fait un inventaire rapide, seraient inopérantes en cas d’attaque aérienne américaine ou même israélienne. Les rétorsions de type terroriste ou G4G évoquées notamment récemment par les Gardiens de la Révolution n’auraient aucun effet sur des pays vraiment décidés à ne pas se laisse influencer par quelques attentats. Enfin, si l’Iran se dotait d’une bombe atomique, il s’en trouverait subitement assagi. Martin Van Creveld rappelle que c’est aussi le point de vue du général américain John P. Abizaïd, pour qui le monde peut très bien vivre avec un Iran doté d’une bombe nucléaire.

La conclusion qu’il en tire est qu’attaquer l’Iran serait inutile. Il ne précise pas dans son article ce qui résulterait d’une telle attaque, mais nous pouvons conclure à sa place. Elle ferait peut-être faire espérer à G.W. Bush de « finir en beauté » son mandat. A l’inverse elle enclencherait un processus imprévisible de déstabilisation non seulement des Etats voisins du Moyen-Orient mais d’Israël, des Etats-Unis et même de l’Occident. Les faucons qui dans le reste du monde guettent le déclin de ces puissances ne tarderaient pas à en profiter. Rappelons que c’était la thèse que nous avions défendue à propos de l’Irak. Saddam vivant ne représentait pas un véritable danger. Saddam mort creuserait sous les pieds de ses agresseurs un précipice dont ils ne pourraient sortir.

Mais qui est écouté à Washington, les gens de bon sens comme notre expert ou les représentants de General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman et autres ? 02/11/07


Publié dans gazetadmiroutes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article