Gazette d'Admiroutes n° 145 en date du 15/08/06
L'Europe (et la France) attendues au tournant fin août
Que va faire l’Europe, que fera pour sa part la France, lorsque fin août, l’Iran refusera les propositions en forme d’ultimatum du Conseil de Sécurité de l’ONU concernant ses capacités nucléaires ? Les experts considèrent en effet que l’incapacité d’Israël à obtenir la défaite attendue du Hezbollah au Liban a beaucoup renforcé la volonté de l’Iran de poursuivre son programme d'enrichissement. Cet échec a démontré l’impuissance relative de bombardements même massifs face aux abris souterrains du Hezbollah, construits avec l’aide d’experts iraniens sur le modèle de ce que l’Iran a fait depuis longtemps pour son propre compte. Par ailleurs, les réactions du monde arabe, comme d’ailleurs du reste du monde, devant l’offensive terrestre israélienne ont convaincu l’Iran qu’aucun pays ne risquera jamais d’opération analogue contre lui.
Or selon ces mêmes experts (voir ci-dessous**), l’offensive israélienne était considérée à Washington comme une répétition et un préalable de ce que les Etats-Unis allaient pouvoir faire contre l’Iran : des bombardements massifs de l’US Air Force, non seulement contre les installations nucléaires enterrées, mais contre les routes, aéroports et villes elles-mêmes. Ces bombardements devraient, dans l’esprit des néo-conservateurs, semer la terreur en Iran et au Moyen Orient en général, pousser les opposants iraniens réputés « démocrates » à renverser l’actuel pouvoir, soulager la pression contre le corps expéditionnaire américain en Irak et faciliter si nécessaire une intervention terrestre en Iran.
Rien de tout ceci ne s’est passé. Si bien que le Hezbollah apparaît désormais comme le grand vainqueur, modèle pour tous ceux qui voudraient dans les autres Etats arabes suivre son exemple. Israël est durement affaibli et à Washington même, on commence à douter du bien fondé de la politique de Bush visant à mettre l’Iran à genoux. L’armée de terre et la marine, qui n’avaient jamais cru au succès d’opérations aériennes, contrairement à l’US Air Force, craignent maintenant que, loin d’être soulagées, les troupes américaines engagées en Irak, déjà en position relativement critique, soient l’objet d’offensives renouvelées des milices tant chiites que sunnites, sur le modèle de ce qu’a fait le Hezbollah. Mais cela ne veut pas dire pour autant que Bush, Cheyney et Rumsfeld vont renoncer à soumettre l’Iran. La clairvoyance n'est pas leur point fort.
Reposons alors la question : que va faire l’Europe en cas de refus iranien d’accepter le compromis sur le nucléaire ? Certains Etats européens, dont la France, avec l’appui de l’Union, seront alors impliqués comme force d’interposition entre le Liban et Israël. Les Etats-Unis voudraient d'ailleurs en faire davantage, une force d’interposition entre le Liban et la Syrie, bref un otage embourbé au Moyen Orient qui obligera l’Europe à se ranger automatiquement du côté américain si les choses s’aggravaient. Il est certain que, renforcé par l’échec israélo-américain, les radicaux chiites en Iran et au Liban ne vont faire aucune concession, ni aux Etats-Unis ni à l’Europe si celle-ci semble accepter de remplacer Tsahal dans le rôle de proxy (c’est-à-dire de bras armé local) des Etats-Unis. Allons nous accepter de nous laisser ainsi piéger ? Mais si nous ne le faisions pas, quel parti prendrions-nous ? Il serait quand même assez difficile de paraître encourager tous ceux, Iran en tête, qui proclament haut et fort leur désir de rayer Israël de la carte.
Voilà dans quelles impasses on se trouve lorsque l’on a pendant des mois refusé d’avoir une politique extérieure soucieuse en priorité des intérêts européens (qui supposent de bonnes relations avec tous les Etats de la zone) ceci pour ne pas contrarier Washington. Cette remarque vaut pour Blair, mais aussi pour l’Allemagne et l’Espagne et même la France, jusqu'à ces dernières semaines bien silencieuse 15/06/06
** Lire Dedefensa Le rendez-vous de la fin de l'été http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=3039
et le long article, exemplaire de ce que devrait être le journalisme, de Seymour Hersch dans le New Yorker, Watching Lebanon
http://www.newyorker.com/printables/fact/060821fa_fact
Déboires d'Israël en tant qu'exécuteur des basses oeuvres du Pentagone
Ceux qui ont de la sympathie pour Israël ne peuvent que regretter de voir les impasses où il s'est mis en acceptant de servir de bras armé - ou plutôt d'exécuteur des basses oeuvres - du Pentagone au Moyen Orient. Les néoconservateurs et autres stratèges pentagonesques voulaient manifestement que, par une victoire éclair sur le Hezbollah, pour ne pas dire sur le Liban, il sème la terreur dans la zone. Il aurait pu alors sur sa lancée faire ce que les Américains par leur impéritie sont devenus incapables de faire, menacer voire attaquer la Syrie et l'Iran, induire l'apparition du Nouveau Moyen Orient si cher à Condi Rice et G.W.Bush. Hélas, Tsahal n'a pas été à la hauteur, malgré l'ardeur à en découdre de ses généraux. Nos stratèges pentagonesques, forts de leurs brillants succès en Irak, l'accablent de reproches. Israël aurait été "trop humain", l'Amérique ne peut plus lui faire confiance, etc. Ils menacent de lui retirer leur "confiance". En attendant, Israël a perdu une bataille dans l'opinion, non seulement arabe mais mondiale. Israël a peut-être fait pire encore: durablement compromis ses chances de survie à terme. Nous ne le lui souhaitons pas, mais...
Les Européens atlantistes et otaniens - ce que Dieu merci n'a pas été dans cette affaire la diplomatie française - devraient en tirer une conclusion: rien de bon ne peut arriver à un pays qui accepte de s'inféoder militairement à Washington. Quant aux Israéliens, pourquoi ne remplaceraient-ils pas l'alliance américaine par une alliance européenne? L'Europe est branlante et divisée. Néanmoins dans cette affaire (un peu grâce à la France), elle se montre à peu près à la hauteur. 14/08/06
Claude Got. Comment tuer l'Etat
Le Pr Claude Got est connu et admiré pour son ardeur à lutter contre les différentes nuisances qu'imposent producteurs et distributeurs au public, souvent avec la complicité des pouvoirs publics qui n'osent pas affronter les lobbies. On sait son engagement contre la vitesse sur les routes, les 4/4, le tabac, les armes à feu, les aliments générateurs d'obésité, etc. Il faut donc lire son dernier livre, où il présente très concrètement un certain nombre de cas où les pouvoirs publics, par incompétence ou complicité, ont laissé faire les "malfaçons et les malfaisances" provenant du monde économique. Ce livre devrait servir de pense-bête aux citoyens qui veulent s'impliquer dans la lutte pour la protection de l'environnement et des consommateurs. Pour en savoir plus, on peut lire le commentaire pertinent de Philippe Boucher dans http://blog.globalink.org/item/337 14/08/06
Le satellite de communications militaires Syracuse 3B a été placé en orbite géostationnaire avec succès le 11 août par une fusée Ariane 5 version lourde depuis le centre spatial de Kourou. La fusée a simultanément mis en orbite le satellite de télécommunications JCSAT-10 pour l'opérateur japonais JSAT Corporation
"Le succès de ce soir est absolument exemplaire car Ariane montre qu'elle est un outil de souveraineté. Syracuse 3B est le troisième satellite militaire que nous lançons en moins d'un an", s'est félicité le directeur général d'Arianespace, Jean-Yves Le Gall. Cette observation de J.Y. Le Gall est une réponse à ceux qui prétendent que l'Europe n'a pas besoin de lanceurs en propre, puisqu'elle peut faire appel aux produits du marché. Le lancement d'un satellite militaire, acte de souveraineté s'il en est, n'aurait pas pu se faire, sauf négociations difficiles, avec un lanceur commercial étranger. Mais nous estimons pour notre part que la souveraineté ne se limite pas au domaine du spatial militaire. Il faudra impérativement à cet égard qu'au delà du lanceur actuel Ariane 5, l'Europe dispose sur les 15 à 20 prochaines années d'une gamme de lanceurs dont elle sera la maîtresse exclusive.
Syracuse 3B a été largué comme prévu 32'50'' après le décollage. Très attendu par les forces armées françaises, ce satellite de communications militaires sécurisées équipé d'un système anti-brouillage va permettre de décupler leurs capacités de transmission. Construit par Alcatel Alenia Space, le 3B est un clone du 3A, lancé en octobre 2005 mais dont les capacités arrivaient déjà à saturation. Leur durée de vie est estimée entre 12 et 15 ans.
Ces deux satellites vont couvrir une zone allant de l'est des Etats-Unis à l'est de la Chine. Ils sont les premiers à être entièrement dédiés à l'armée française. Les systèmes précédents, Syracuse 1 et 2 mis en orbite depuis le milieu des années 1980, étaient partagés avec France Telecom.Sous la maîtrise de la DGA, le programme Syracuse 3 représente un coût total de 2,3 milliards d'euros.
Véritable réseau à haut débit du champ de bataille, ces satellites permettent d'envoyer données, images et d'organiser des visioconférences entre soldats en opération et postes de commandement. C'est la version française, encore il est vrai bien moins riche, du net centric warfare américain. La France va recevoir dès la fin de l'année 600 stations de réception de nouvelle génération, développés par Thales, pouvant être installés sur des navires, des blindés ou transportables à dos d'homme.
Le porte-avions Charles de Gaulle sera équipé de la sienne en 2008. Le lancement d'un troisième satellite pour compléter la constellation est prévu en 2010. Une réflexion a été entamée avec l'Italie pour le développer en commun.
De son côté, par ce tir réussi, Ariane 5 ECA 10 tonnes a confirmé son caractère opérationnel. Il était le sixième effectué par cette configuration. Le vol inaugural, le 11/12/2002, avait été un échec, la fusée ayant dû être détruite en vol en raison d'un problème technique.
SYRACUSE 3B est la 27ème charge utile militaire confiée au lanceur européen. Après les lancements d'HELIOS IIA en décembre 2004, de SYRACUSE 3A en octobre 2005 et de SPAINSAT en mars 2006, Ariane 5 démontre une nouvelle fois sa capacité à assurer un éventail complet de missions, notamment les lancements institutionnels au profit de la Défense européenne 12/08/06.
Le complot de Londres
Apparemment, beaucoup de commentateurs britanniques ne prennent pas très au sérieux les annonces de leur gouvernement concernant l'effroyable complot auquel, grâce à la sagacité du dit gouvernement, les voyageurs transatlantiques viennent d'échapper de justesse. Ils soulignent l'opportunité de ce prétendu complot, au moment où l'axe Blair-Bush se fragilisait et surtout au moment où l'on critiquait de plus en plus la passivité de ces derniers face à l'invasion du Liban par Israël. Il nous est difficile évidemment d'avoir une opinion sérieuse sur le risque d'attentat. Il y a eu effectivement des bombes dans les trains londoniens et il pourrait y en avoir demain dans des avions. On ne peut pas cependant croire sur parole ce que disent des gouvernements qui se sont engagés dans la plus grande erreur historique de ces dernières années, l'invasion de l'Irak, et qui refusent de l'avouer. Voir notre source d'information habituelle, plus précieuse que jamais en ces temps agités: http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=3019 11/08/06
G4G, la guerre de 4e génération
Le concept de Guerre de 4e génération, G4G, a été inventé par les stratèges américains pour définir les nouvelles formes de guerre qu’impose la résistance irakienne à une armée traditionnelle telle que la leur. Il faut toujours se méfier de la façon dont la superpuissance américaine se représente le monde, car c’est souvent aussi une façon d’obliger les « vassaux » à penser comme elle et à la rejoindre dans sa lutte pour maintenir sa domination. Cependant, l’enlisement américain en Irak et les menaces de guerre civile en découlant, les nouveaux développements pris par le conflit israélo-palestinien, le déclenchement d’une véritable guerre, sur le mode de ce qui se passe en Irak, entre le Hezbollah libanais et Israël, obligent à reprendre ce concept de G4G. Comment donc le définir ?
Est-ce qu'il recouvre ce que désignait jusqu’à ce jour le terme de « guerre asymétrique » ? Celui-ci fut créé par le général américain Wesley Clark, lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, dans un article traitant de la seconde Intifada, écrit pour Time Magazine. D'une façon générale, une guerre asymétrique est une guerre du faible au fort, engageant des milices ou des organisations terroristes non étatiques contre des forces policières et militaires étatiques. Elle se distingue des guerres entre Etats qui se déroulent dans un cadre juridique défini depuis longtemps et censé, tel la Convention de Genève, assurer un minimum de protection aux populations civiles, aux prisonneirs de guerre, etc.. Elle se distingue aussi d'une guerre dissymétrique où s’affrontent deux Etats dont les forces de l’un sont nettement inférieures à celles de l’autre, ce qui impose au premier des actions ne relevant pas nécessairement du droit de la guerre, comme des sabotages. Un exemple de ce dernier type de conflit est fourni par la dernière guerre entre les Etats-Unis et le Viêt-Nam.
Le concept de guerre asymétrique a été repris par les stratèges européens, notamment par Jacques Baud (La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, l'art de la guerre, Editions du rocher, 2003), dont l’ouvrage fait encore référence. L’auteur y insiste sur l’utilisation par les adversaires de tous les espaces disponibles, notamment l'espace humain (l’opinion publique), l'espace terrestre, l'espace aérien, l'espace hertzien (la communication et les médias). Le partenaire militairement faible, dans ce type de guerre, compense son infériorité en capacités par un usage intensif et peu pratiqué encore par les grands Etats d’actions violentes capables de rallier à sa cause les populations civiles et les opinions publiques, à l’échelle du monde entier lorsque cela est possible. Le droit traditionnel de la guerre est alors inévitablement violé. Mais en principe les belligérants évitent de procéder à ce que l'on nomme aujourd'hui des "crimes contre l'humanité". S'ils le font, ils encourent, outre une réprobation générale, des poursuites devant d’éventuels "Tribunaux Pénaux Internationaux", quand ceux-ci existent et sont reconnus. Des condamnations morales à l'ONU sont aussi possibles. Tout ceci, il est vrai n'arrêtera pas les plus radicaux des belligérants.
Qu’apporte alors de nouveau le concept de G4G ? On peut dire qu’il s’agit d’une véritable guerre, mobilisant d’importants moyens militaires et psychologiques, où s’affrontent des Etats et des puissances non étatiques capables de mobiliser des foules importantes à partir de motivations idéologiques, généralement nationalistes et religieuses, recouvrant le plus souvent des affrontements économiques et géostratégiques. C’est toujours, au moins au début, une guerre du faible au fort mais l’ambition du faible, dans ce cas, est de détruire les capacités du fort pour l’obliger à se retirer du conflit. Asymétrique au départ, la guerre en ce cas tend à devenir symétrique en pratique, les adversaires équilibrant leurs forces. Les plus ambitieux des faibles visent même à détruire les forts pour devenir forts à leur place.
Le danger présenté par le concept de G4G est de conduire à radicaliser les affrontements. Il évoque la perspective de la guerre des civilisations, confrontant le monde occidental riche (dit par ses adversaires monde chrétien) et le monde musulman pauvre. Beaucoup de stratèges américains, notamment chez les néo-conservateurs, rêvent sans doute d’une telle guerre des civilisations, dont ils espéreraient sortir vainqueur. Les musulmans fondamentalistes encore plus, puisque de la destruction du monde occidental ils espèrent voir surgir le nouveau messie qu’ils attendent, dit aussi l’imam caché. Les Européens au contraire refusent énergiquement la perspective d’une guerre des civilisations, non par lâcheté mais sans doute parce qu’ils sont un peu plus « civilisés » que ceux prônant une culture de l'anéantissement généralisé. La spécificité de la civilisation européenne est en effet la coexistence aussi pacifique que possible des nationalités, des religions et des ethnies, au sein de sociétés laïques et tolérantes. Dans une guerre des civilisations ouverte, la civilisation européenne perdrait son âme et peut-être même y laisserait-elle son existence.
Les stratèges européens peuvent-ils alors reprendre le concept américain de G4G qui semble fait tout exprès pour habituer les opinions publiques à la perspective d’une guerre des civilisations entre l’Occident et le monde musulman ? Ils peuvent le faire, mais en précisant bien ce qu’ils entendent par G4G et en montrant comment agir pour éviter les débordements voulus par les extrémistes des deux bords afin de provoquer un embrasement mondial. Dans cette perspective, nous définirions ainsi la G4G :
- une guerre entre des Etats militairement forts et des mouvements de résistance luttant contre ces Etats, soit pour « libérer » des territoires occupés par eux, soit pour limiter les ambitions territoriales ou économiques de ces Etats. Aujourd’hui, au Moyen Orient, les deux Etats forts, disposant de moyens conventionnels et atomiques considérables, sont les Etats-Unis et Israël. Leur principal tort, aux yeux de leurs adversaires, outre leur super-puissance, est d'être des forces d'occupation. C'est indéniable dans le cas des Etats-Unis. C'est plus discutable dans le cas d'Israël, installé en Palestine depuis longtemps, mais c'est vécu comme tel par les opinions arabes. Les principales mouvances de résistance sont les milices principalement sunnites mais aussi chiites en Irak, le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban.
- une guerre faisant appel à des interventions en sous-main, sous forme notamment de fourniture de matériel militaire, par des Etats officiellement neutres mais qui pour renforcer leur poids international cherchent à affaiblir la puissance dominante représentée au Moyen Orient par les Etats-Unis et accessoirement Israël. Les matériels fournis peuvent être très sophistiqués, à la hauteur, qualitativement sinon quantitativement, de la plupart des armements utilisés par le fort. On voit ainsi le Hezbollah utiliser aujourd’hui des missiles de moyenne portée et des drones. Ces matériels et leur assistance technique proviennent nécessairement de l’Iran ou de la Syrie et sans doute de plus loin encore.
- une guerre susceptible de s’étendre en recrutant des Etats ou des forces jusqu’à présent peu engagés. Le spectre de la guerre des civilisations peut alors légitimement être redouté. Aujourd’hui, les Etats susceptibles, dans un premier temps, de s’inscrire directement dans les conflits au Moyen Orient sont la Syrie et l’Iran. L’internationale Al Qaïda, jusqu’ici semble-t-il peu présente, s’efforcera elle aussi de profiter du conflit pour étendre son emprise dans les pays de la zone. Elle essaiera également de mobiliser des minorités terroristes dans d’autres Etats du monde afin de les déstabiliser, notamment les Etats arabes dits modérés, le Pakistan, l’Indonésie et les Etats européens.
- une guerre visant en priorité les civils et l’effet de rejet que provoquent dans les opinions mondiales les reportages sur les morts, les blessés et les destructions affectant les populations. L’objectif de ceux qui commettent ces agressions est de rallier à leur cause (par la peur ou à l’opposé par l’indignation) les civils touchés et plus généralement les opinions mondiales. Le fort hésite en général à utiliser ce type de moyen, mais le cas échéant il le fait sans l’avouer. Israël le montre actuellement en détruisant le Liban chiite. Les faibles au contraire usent et abusent des attentats terroristes dont les victimes sont principalement civiles. Là encore, s’en prendre aux civils ne fait que radicaliser les affrontements et précipiter les pacifistes dans les bras des extrémistes.
- une guerre où progressivement, les capacités militaires du fort se trouvent enlisées dans une guérilla incessante où les armes mêmes sophistiquées perdent une grande partie de leur efficacité. Cette guérilla est d’autant plus efficace qu’elle a pu accumuler les capacités modernes fournis précédemment par des Etats officiellement non engagés dans le conflit, comme indiqué ci-dessus. On voit actuellement s'élever le niveau technique des armements utilisés. Dès que le Hezbollah, l’Iran ou tous autres « faibles » disposeront de missiles stratégiques, ils deviendront militairement difficilement contournables. D’ores et déjà, les « simples » Katiouckas paraissent difficiles à parer. Les systèmes anti-missiles américains de type Patriot, sur lesquels les Israéliens comptaient au début du conflit, se montrent impuissants. Le fort est alors tenté de monter dans l’échelle des rétorsions, jusqu’à envisager l’arme suprême, représentée en ce cas par des frappes nucléaires tactiques. Il parait clair que si le fort, Etats-Unis ou Israël en l’espèce, se laissait aller à cette tentation, la désapprobation mondiale serait si grande que des Etats nucléaires jusqu’ici en retrait, comme le Pakistan et la Chine, pourraient mobiliser contre eux, directement ou indirectement, des moyens atomiques dans le conflit. Celui-ci en ce cas se mondialiserait de façon cataclysmique.
- une guerre qui s’accompagne, dans les pays où elle se déroule et souvent, par contagion, dans les régions voisines, d’une dissolution de la structure sociale traditionnelle. Les affrontements interethniques ou interconfessionnels se multiplient. Plus grave, les activités de prédation, exercées par toutes les forces en présence, y compris les armées officielles, épuisent les ressources locales. Des organisations mafieuses locales ou internationales accaparent les richesses encore disponibles (notamment le pétrole) et terrorisent les populations. A long terme, ce seront sans doute ces organisations criminelles qui seront les grandes gagnantes de la guerre.
- une guerre enfin, last but not least, où l’un des clans fait, de façon unilatérale, appel aux « combattants suicides ». Les combattants suicides sont une nouvelle donnée caractérisant de plus en plus la G4G, dans la mesure où leur emploi se généralise. Certes la Japon impérial avait donné l’exemple avec les kamikazes, annoncés d’ailleurs, on l’oublie trop souvent, par le sinistre Viva la muerte du général franquiste Milan Astray, s'adressant au philosophe espagnol Miguel de Unamuno. Mais on pouvait penser que sauf exceptions, les combattants de la seconde partie du 20e siècle seraient trop attachés à leur propre vie pour la sacrifier délibérément, y compris pour la patrie. Or ce n’est pas le cas. La G4G opposera de plus en plus deux types de sociétés. D’une part celles où la vie individuelle (elle-même assez confortable pour être vécue) représentera une valeur suffisante pour décourager les vocations au sacrifice suprême, ceci d’autant plus que le recul de la religiosité ne permettra pas de faire du saut dans la vie éternelle un véritable produit d’appel. D’autre part les sociétés où le suicide au combat continuera à représenter la valeur suprême. On pense habituellement que c'est le fanatisme religieux qui pousse les terroristes à la mort. Il est certain que la religion joue un rôle. La mort au service de Dieu garantit en effet au combattant de la foi, selon les discours des prêtres, non seulement la fusion avec la divinité mais les jouissances et les richesses que la vie terrestre rend de plus en plus difficile à obtenir. Observons que les chefs de guerre qui promettent ces félicités aux combattants-suicide se gardent bien de donner l’exemple. Ils recherchent au contraire à s’approprier les biens matériels des sociétés qu’ils combattent, afin d’en profiter le plus longtemps possible ici bas, eux et leurs proches. Ceci étant, des études récentes montrent que c'est tout autant le sentiment national en révolte contre les occupants qui pousse beaucoup de militants à des attentats suicides ou qui les conduit à se laisser tuer sur place dans les engagements. On retrouve alors une forme de patriotisme louée très haut en Occident du temps des guerres du 19e et 20e siècle: "mourir pour la patrie est le sort le plus beau, le plus digne d'envie" (voir sur ce point Dedefensa http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=3001 ).
Avec les missiles à longue portée, d’éventuelles armes de destruction massive et une réserve illimitée de combattants suicides, les faibles initiaux ne sont-ils pas en train de se doter d’armes absolues capables de neutraliser les armées les plus technologiques ? Plus généralement, ne se rapproche-t-on pas vraiment de la guerre des civilisations redoutée ? Le nombre de ceux prêts à se sacrifier pour leur foi ou pour détruire un adversaire présenté comme exerçant une force injuste est sans doute grand. Il le sera de plus en plus car le niveau de vie mondial ne s’améliorera pas suffisamment vite pour décourager les actes de désespoir, lorsque ceux-ci sont provoqués par la misère et l'impuissance face à un ennemi trop fort. .
La G4G, ainsi définie, est-elle le prototype des futures guerres où s’affronteront, dans le monde de demain, les riches et les pauvres ? Les prétextes ne leur manqueront pas : accès aux ressources naturelles telles que l’eau ou les énergies fossiles – accès à l’espace géographique dans la perspective du réchauffement de la planète et du resserrement des territoires habitables – destruction progressive des infrastructures collectives aggravant l’inégalité entre classes sociales y compris dans les pays riches….
Même si ce scénario noir ne se généralise pas, la 4G4 oblige à réagir dès maintenant l’Union Européenne et les Etats européens qui comme la France souhaitent continuer à jouer un rôle d’apaisement au Moyen Orient et dans les pays musulmans voisins. Quelle attitude avoir vis-à-vis des belligérants ? Comment éviter d’être entraînés dans la guerre menée par les forts ou d’être contaminés par celle des faibles ? Comment intervenir, pacifiquement et le cas échéant militairement, si le besoin s’en faisait sentir ? Comment faire, à plus long terme, pour que chacun reste chez soi et ne se mette pas en tête de conquérir les territoires des autres ? Comment lutter contre ces véritables virus de l’esprit que sont les appels aux formes suicidaires de combat ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les stratèges militaires et diplomates européens sont encore loin d’avoir pris la mesure des difficultés qui s’amoncellent. Les gouvernements européens n’ont pas non plus les moyens humains et militaires de leurs ambitions d’interposition, à supposer qu’ils s’entendent pour intervenir en faveur d'une paix négociée entre partenaires raisonnables, s’il en restait. 10/08/06
Affirmer la puissance, assurer la cohésion. Les objectifs d'une politique européenne volontariste en matière de transports.
Aujourd'hui Demain
Images LTF: Liaison Lyon Turin Ferroviaire
Pour beaucoup d’hommes politiques, américains et britanniques, l’Europe n’est rien qu’un territoire sans frontières, non sructuré et donc incapable de se comporter en puissance politique et économique. Ce serait en partie vrai si l’Europe ne s’était pas organisée depuis longtemps autour de réseaux de transports d’une qualité unique au monde, en plein développement et capables d’apporter à l’Europe des prochaines décennies l’indispensable cohésion qui en feront une vraie puissance.
Les transports en Europe donnent cependant l’impression d’une grande anarchie et de multiples contradictions : entre la route omniprésente et les autres modes, entre les Etats et régions bien desservis et les autres, entre les interventions publiques en faveur des infrastructures lourdes et les initiatives privées jouant la carte de la rentabilité immédiate aux dépends des intérêts européens à long terme. C’est indéniable. Cependant, quand on compare la situation des transports en Europe et celle des transports dans les autres continents, y compris dans la « riche » Amérique du Nord, l’avance européenne est indiscutable. Il suffirait de peu de choses pour la transformer en un avantage décisif dans la compétition mondiale.
Nous pensons que ce peu de choses – qui représenterait en fait une mutation considérable des esprits contaminés par les pensées uniques libérales – est à la portée des Européens. Ce "peu de choses" serait en effet dans la ligne des traditions historiques ayant fait, depuis l’Empire romain, de l’intervention de la puissance publique en faveur des voies de communication la base même de la puissance impériale. Certes, aujourd’hui, une politique de puissance en matière de transports ne suffira pas. Elle ne remplacera pas l’effort considérable en recherche développement qu’il faut mener par ailleurs pour que l’Europe se tienne à la hauteur des grands concurrents américains et asiatiques. Mais elle y contribuera directement, car les technologies nécessaires à une politique de puissance en matière de transports ne seront pas obtenues sans précisément un effort de recherche/développement considérable – dont heureusement les Européens possèdent déjà certaines des bases, grâce à des industries et des laboratoires très concurrentiels.
Mais comment définir une telle politique de puissance au profit des transports européens. Nous voudrions présenter dans cet article quelques points qui nous semblent devoir en constituer les préalables.
1. Le cadre géographique
L’Europe concernée ne se limitera pas aux pays de l’Union. Elle comprendra d’abord la Confédération helvétique, déjà bien engagée pour sa part dans une politique intelligente de modernisation des infrastructures, au profit notamment du rail, et qu’il faudra convaincre de rejoindre une démarche géopolitique commune. Elle visera aussi à impliquer, même s’ils ne font pas partie politiquement de l’Europe, les pays voisins générateurs de flux entrants et sortants et donc intéressés à leur rationalisation : Russie, Turquie et autres pays frontaliers.
On ajoutera au domaine terrestre le domaine maritime de la zone exclusive des 200 miles. Cet espace doit être repris en main par les Etats européens, avec l’imposition de mesure de surveillance et de protection s’imposant à tous navires, de quelque nationalité qu’ils soient. Les Etats-Unis l’ont décidé pour ce qui concerne leurs eaux territoriales de façon unilatérale et tout le monde a du en tenir compte. L’Europe doit faire de même. Cela supposera notamment la mise en place de corps et flottes de garde-côtes efficaces, ainsi que sans doute le pilotage obligatoire dans les détroits et chenaux à risque, tant en Manche et mer du Nord qu’en Méditerranée.
2. Les types de transports
La politique concernera les transports de marchandises, en priorité (les plus lourds et les plus polluants), mais aussi les transports de voyageurs. Elle inclura aussi les transports « dématérialisés » à base de réseaux numériques, compléments et de plus en plus alternatives crédibles aux précédents. De tels réseaux seront généralement satellitaires et nécessiteront donc une politique spatiale européenne active. On mettra notamment en place, plus vite qu’actuellement prévu, le système de géolocalisation européen Galiléo destiné à remplacer l’américain GPS. Ce serait une erreur de faire de la politique spatiale l’objet d’investissements non coordonnés distincts des précédents. Cependant; dans ces divers domaines, les investissements les plus lourds concerneront les infrastructures assurant un maillage convenable de l’espace européen (voies de communication ferroviaires et plates-formes logistiques ou d’entreposage).
Dans le même esprit, la politique européenne à élaborer ne se limitera pas aux infrastructures. Elle comportera une politique dynamique de développement de véhicules adaptés aux nouvelles infrastructures et aux nouveaux enjeux économiques : matériels roulants ferroviaires, navires de divers types, moteurs et réseaux de distribution d’énergie faisant appel aux énergies appelées à remplacer le pétrole.
Mentionnons ici le cas particulier du transport aérien à destination des aéroports européens ou en provenant. La réforme de l'Agence Eurocontrol, toujours envisagée, jamais encore entreprise, devrait devenir une priorité, afin de permettre un suivi paneuropéen des trafics, plutôt qu’un éclatement des contrôles au sein des espaces aériens nationaux.
3. La prise en compte des évolutions économiques, technologiques et de protection de l’environnement à prévoir sur le quart de siècle, sinon sur le demi-siècle
Il est difficile de prévoir sur de telles durées, vu la rapidité des évolutions technologiques et de celles des contraintes. Néanmoins le transport implique le long terme, ce qui en fait précisément le domaine par excellence des politiques publiques visant l‘intérêt général de longue période.
Dressons ici une courte liste des évolutions à intégrer dans des politiques échelonnées sur un quart de siècle et sur un demi-siècle :
- la diminution des réserves accessibles et le coût croissant des carburants fossiles. Ceci impose de les remplacer sans attendre, grâce à des actions volontaristes d’incitation (notamment fiscales), par des énergie de remplacement : traction électrique, hydrogène d’origine nucléaire, bio-carburants (dans certains limites à ne pas dépasser).
- le refus croissant des accidents et gaspillages de toutes sortes dus aux transports routiers, même si ceux-ci consomment d’autres carburants que le pétrole. Le transport routier demeurera utile pour les liaisons courtes mais devrait progressivement être condamné pour les liaisons longues et les frets lourds. La reconversion des métiers de la route devra être organisée au profit de nouvelles activités, notamment dans le groupage-dégroupage de proximité, le multi-modal, etc. Plus généralement, la politique européenne des transports devra intégrer des normes élevées de sécurité, pour les personnes comme pour l’environnement.
- la volonté de plus en plus affirmée de protection des sites urbains ou touristiques. Celle-ci ne pourra pas être assurée en toutes circonstances. Le ferroutage et le merroutage consommeront des espaces de service qu’il faudra bien trouver quelque part autour des points d’éclatement. Mais la pire des pollutions est celle provoquée par le trafic de poids lourds dont, si rien n’est fait, la croissance sera exponentielle et destructive. C’est donc ce trafic qu’il faut viser à réduire rapidement, en mettant en place, beaucoup plus vite que prévu, de nouvelles liaisons ferroviaires, maritimes et accessoirement fluviales. L'utilisation d'avions, même gros porteurs, sur des liaisons intra-européennes ne devrait pas par contre être encouragée.
- le développement des procédures de gestion des marchandises et des personnes faisant appel aux solutions télé-électroniques : échanges de données informatisées, étiquettes radio, géolocalisation par satellites, etc. Ceci supposera, à l’initiative principalement des Etats, en liaison avec les professions, un grand effort de normalisation des documents, des données (data) et des échanges. Le web sémantique sera généralisé. En amont, les procédures administratives et commerciales, déjà en bonne voie d’harmonisation, devront l’être encore davantage. On évitera ce faisant de laisser l’Europe continuer à se laisser imposer les normes techniques, commerciales, financières et juridiques définies par les opérateurs américains. L’espace de transport européen, tel que défini ici, aura un poids suffisant pour obliger ceux qui veulent y commercer d’adopter ses propres normes et procédures. Encore faudra-t-il coordonner ces dernières, entre Etats-membres et Etats voisins.
4. L’adoption de procédures de décision et de financement faisant un large appel à une régulation intergouvernementale émanant des Etats et de l’Union européenne
On fera valoir que les objectifs énumérés ci-dessus, aussi souhaitables soient-ils, se heurteront d’une part au manque de ressources financières, d’autre part à la concurrence et au refus de coopérer des Etats – sans parler de l’opposition de groupes d’intérêt capables de bloquer la vie économique et de défaire des majorités parlementaires en cas d’affrontements directs.
C’est bien pourquoi ceux qui, comme nous, défendent le concept d’une Europe souveraine, indépendante et solidaire doivent faire d’une politique des transports telle que résumée ici un élément majeur de la construction d’une telle Europe, à « vendre » en priorité aux citoyens conscients de la nécessité de faire face aux changements qu’imposera le siècle. Il faudra convaincre l’opinion qu’il faut dorénavant anticiper les mesures à prendre plutôt que réagir aux contraintes, tardivement et dans le désordre.
La question des financements ne sera pas résolue si on ne change pas radicalement les perspectives. Aujourd’hui, le transport routier prélève sur les économies et les sociétés en général un coût au moins 10 à 20 fois supérieur aux gains qu’il rapporte. Mais, pour le montrer, il faudrait généraliser les procédures d’évaluation publique autour de principes de comptabilité analytique admis par tous les partenaires. Ces coûts mis en évidence, le transfert progressif des ressources consacrés indûment aux formes de transport obsolètes pourra se faire avec des mécanismes mixant l’impôt (taxations et détaxations) et les financements bancaires de moyen et long terme.
D’une façon générale, le projet présenté ci-dessus repose sur le concept général d’optimisation, en temps aussi réel que possible. Généralisée dans les systèmes vivants (par exemple au sein des échanges se produisant dans les cellules et dans les organismes) cette optimisation permet de proportionner exactement les solutions tant aux ressources qu’aux besoins de survie. Utilisant ces exemples, des modèles biomimétiques de l’espace européen, accessibles par Internet à l’ensemble des citoyens, devraient concrétiser les handicaps actuels et les réformes à entreprendre. Même les entreprises privées axées sur la concurrence sans freins et le profit immédiat pourraient sans doute se convaincre de la nécessité d’entrer dans un système global auto-organisateur et auto-optimisateur tel qu’esquissé ici.
Quant aux institutions nécessaires à la définition et à la conduite d’une telle politique, n’en parlons pas ici. Elles apparaîtront d’elles-mêmes si le nouvel état d’esprit se répand. Elles associeront les gouvernements (ceux des Etats-membres et les autres), les institutions de l’Union européenne et, sans doute, des associations et fondations à créer pour populariser la démarche. 02/08/06